Convoi de captifs en Afrique au XVIIIe siècle

 

 

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Source :Voyage à la côte occidentale d'Afrique ...par Louis Degrandpré, Paris, Dentu, An IX [1800/1801], BNF

 

 

Louis-Marie-Joseph Ohier comte de Grandpré (1761-1816) est l'auteur du Voyage à la Côte occidentale d'Afrique fait dans les années 1786 et 1787, contenant la description des moeurs, usages, lois, gouvernement et commerce des Etats du Congo fréquentés par les Européens, et un précis de la traite des noirs, ainsi qu'elle avait lieu avant la Révolution française, suivi d'un voyage fait au cap de Bonne-Espérance, contenant la description militaire de cette colonie. L'ouvrage est constitué de 2 volumes. Le dessinateur est identifié dans l'ouvrage par les initiales G. P.

    Cette gravure est une des illustrations d'un récit de voyage à visée encyclopédique. Elle répond à un souci pédagogique et informatif : dresser le constat d'une pratique interne à l'Afrique. Dans un cadre pastoral, trois Africains armés de longs mousquets mènent des captifs. Au premier plan un marchand négrier armé d'un fusil conduit un captif maintenu par une fourche de bois qui lui enserre le cou (un bois mayombé). Ce châtiment est la conséquence d'une résistance durant le trajet. Au deuxième plan de la gravure, d'autres captifs sont représentés dont deux portent des marchandises. Rien ne perce des sentiments des captifs. Rien n'évoque dans cette image la traite européenne. Certains de ces captifs pouvaient être vendus lors du trajet sur des places de marché en Afrique. D'autres étaient conduits jusqu'à la côte.

    Dans le texte que cette image illustre, Louis de Grandpré dénonce le coût humain de la traite qu'il qualifie de « plaie de l'humanité ». Il préconise une colonisation de l'Afrique : « Il reste qu'il est facile de former des colonies florissantes dans ces pays des côtes de l'Angola. La terre y est riche des mêmes denrées que dans nos Antilles. Si quelque chose pouvait nous les rendre encore plus précieuses, ce serait de les devoir, non pas à des esclaves, mais à des bras libres qu'un modique salaire attirerait dans nos ateliers. Notre commerce et nos manufactures y gagneraient ... »

 

    Voici comment il décrit la traite africaine illustrée par la gravure « Les marchands vont chercher des esclaves fort loin. Ces misérables sont amenés par cinq ou six conducteurs, qui marchent devant, en les traînant par une corde, les femmes exceptées. Comme les chemins sont généralement fort étroits et qu'il y passe à peine un homme, les esclaves peuvent difficilement s'échapper. Beaucoup ne font aucune résistance et viennent gaiement se faire vendre ; ils ne sont point liés et vivent avec les marchands comme avec des camarades. Quant à ceux qui veulent résister, on leur lie les bras derrière le dos si fortement que j'ai vu certains de ces malheureux avec des mains presque privées de sentiment.

    Il y a même des esclaves qui parviennent à se détacher et qui défendent leur liberté en combattant les marchands. Ceux-ci leur passent au cou une fourche de bois, dont les branches ouvertes à la grosseur du cou, ne peuvent laisser passer la tête. Cette fourche, percée de deux trous, reçoit une cheville de fer qui porte en travers sur la nuque de l'esclave, tandis que l'embranchement lui serre la gorge, de sorte qu'il suffit d'un geste pour le terrasser et même le suffoquer. Un captif tenu de cette manière ne peut opposer la plus légère résistance et il faut qu'il se laisse conduire. Le marchand prend le bout de la fourche et il marche devant le malheureux forcé de le suivre. La nuit, on attache le manche de la fourche à un arbre et on laisse l'esclave se consumer en vains efforts s'il est assez fou pour chercher à s'échapper. Cette fourche que l'on appelle bois mayombe sert aux captifs isolés. Lorsqu'ils sont dans un comptoir, on les met à la chaîne ... »

 

Eric MESNARD