La canne, sa culture et la fabrication du sucre.
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Une des principales cultures de nos habitations est celle de la canne. C'est son suc qui, étant purifié, cuit, blanchi et séché, se transporte partout et se conserve aussi longtemps qu'on le tient à l'abri de l'humidité. La canne à sucre proviendrait des Indes où elle pousse à l'état sauvage et ce seraient, selon certains auteurs, les Espagnols et les Portugais qui les auraient transportées, d'abord à l'île de Madère et ensuite au Brésil (...) Ils nous ont appris à en extraire le jus comme ils l'avaient vu aux Indes (...)
La canne est un roseau de forte taille d'environ sept à huit pieds 1 dont la peau est tendre et l'intérieur plein d'une matière spongieuse plus ou moins sucrée. La feuille est étroite, longue et pointue (...) La terre la plus fertile pour cette culture doit être légère, profonde et, surtout, bien exposée au soleil du matin jusqu'au soir (...) La saison de la récolte va de janvier à juillet et les rejetons mettent environ dix-huit à vingt mois pour être bons à couper. Les plants de canne sont disposés dans des fosses de sept à huit pouces 2 de profondeur. On les recouvre alors de terre et, au bout de cinq à six jours, on les voit se lever. Une souche peut durer dix-huit à vingt ans. Mais le terrain doit être tenu propre et bien sarclé. La canne doit être coupée à maturité, sinon le suc qu'elle donne n'est pas de bonne qualité (...)
Lorsque le moment est venu de la récolte, on dispose en frontière du champ, un rang de nègres munis de serpes et ils avancent en ligne en disposant derrière eux les cannes coupées en deux ou trois morceaux. Ces derniers sont ramassés et liés en paquets qui sont chargés à leur tour sur des charrettes qui les portent au moulin. Ceux-ci servent à broyer la canne pour en extraire le suc. Ils sont mus soit par l'eau, le vent ou les bœufs.
La sucrerie proprement dite est une grande salle située à côté du moulin. C'est là où sont les chaudières dans lesquelles on reçoit, on purifie et on réduit en sucre le suc des cannes.
Les chaudières au nombre de cinq ou six sont en cuivre rouge et sont chauffées avec le bois ou avec les feuilles des cannes abattues. Chacune d'elles a son nom suivant sa fonction. Il y a la grande, la propre, la lessive, le flambeau, le sirop et la batterie. A chaque passage le suc, grâce à la chaux, la lessive et la cendre s'épure peu à peu et blanchit (...) Pour faire un bon sucre, il faut toute la science du raffineur qui doit savoir arrêter la dernière cuisson en fonction de la qualité et de la maturité des cannes.
Lorsque le sucre est complètement épuré, on le met dans des formes qui contiennent, après écumage, environ vingt à vingt deux livres 3 . La culture et la raffinerie du sucre sont d'un excellent rapport, environ cinq fois plus qu'une terre cultivée en Europe.
On tire également de l'eau-de-vie des cannes, appelée par les indigènes guildive, et par les nègres, tafia 4 . Elle est obtenue par distillation et l'alcool qui en sort est très fort et très violent.
Source : Jean-Baptiste Labat, Nouveau voyage aux Isles de l'Amérique, contenant l'histoire naturelle de ces pays, l'origine, les mœurs, la religion et le gouvernement des habitants anciens et modernes. Les guerres et les événements singuliers qui y sont arrivés pendant le long séjour que l'auteur y a fait. Le commerce et les manufactures qui y sont établies, et les moyens de les augmenter. Avec une description exacte et curieuse de toutes ces Isles. Ouvrage enrichi de plus de cent Cartes, plans, et figures en tailles-douces, Paris, 1722, 6 volumes.