La somme cumulée des mauvais traitements


     « Vos nègres m'ont passé par les mains les uns après les autres. L'épidémie qui a régné chez vous et autour a causé de grands ravages, vous en avez perdu 32, c'est une perte immense pour un atelier déjà faible. Vos nègres ont été peu ménagés dans les régies précédentes, on n'a cherché qu'à faire du sucre, sans penser à l'avenir. J'ai vu avec peine que monsieur Duménil avait suivi ce mauvais principe. Vos nègres sont excédés par le travail, leur constitution en a souffert, il faut aujourd'hui de grands ménagements

    Vous n'avez plus chez vous, monsieur le comte, que 354 nègres en y comprenant les libertés de savane, les vieillards et les enfants à la mamelle. Vous qui connaissez votre habitation, vous jugerez sans peine que pour entretenir 264 carreaux de terre en cannes, il faut nécessairement augmenter de force. Pendant dix ans, on n'a mis chez vous que 30 nègres nouveaux, si M. Bayon en avait seulement acheté douze par an vous n'éprouveriez pas à présent le chagrin de craindre que tout ne manque à la fois. Je suis bien fâché de vous affliger, mais mon devoir et mon amitié m'empêchent de me taire. Je vous assure que je n'ai pas été content de votre atelier. [...]

    J'ai trouvé beaucoup de vivres plantés, et j'ai vu avec plaisir que votre régisseur s'était occupé de cette partie la plus conséquente d'une habitation. Je lui ai bien recommandé de continuer tous ses soins à cet objet, ainsi que pour l'hôpital, de ne rien épargner, que votre intention, monsieur le comte, était qu'on ne ménageât rien pour la santé de vos esclaves et que votre bon cœur se refusait à ses petites économies si nuisibles aux malades. Le chirurgien qui est chez vous est instruit. Je n'ai cependant pas pu m'empêcher de lui témoigner mon étonnement sur les pertes que vous venez de faire. [...]

    M. Dumesnil vous a entretenu, monsieur le comte, de vos cases à nègres, et attend vos ordres pour les porter dans un endroit plus sain que celui où elles sont. Je ne doute point que leur position ne contribue beaucoup à leur insalubrité. Cette opération ne peut se faire que dans plusieurs années. Tous les ans on en fera une partie avec les maçons et charpentiers de l'habitation».

Lettre du négociant François Guilbaud au comte de Noé, 31 janvier 1791

 


Source : archive privée reprise par DONNADIEU (Jean-Louis), Un grand seigneur et ses esclaves, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2009.