Vente aux enchères d'une jeune esclave d'après le récit autobiographique de Mary Prince




    « Ce fut Mary Prince la première qui suggéra l'idée d'écrire son histoire. Elle souhaitait, disait-elle, que les bonnes gens d' Angleterre pussent apprendre de la bouche d'une esclave les sentiments et les souffrances d'une esclave (...) Le récit fut recueilli sous la dictée de Mary par une dame qui se trouvait alors l'hôte de ma famille ; elle le prit par écrit en entier ... puis l'élagua jusqu'à lui donner sa forme actuelle, tout en conservant le plus fidèlement possible les expressions de Mary et sa manière particulière de parler. Aucun fait d'importance n'a été coupé, aucun détail, aucun sentiment n'ont été ajoutés. C'est fondamentalement le récit de Mary ... » 1

    La publication de ce récit a été pour les abolitionnistes anglais, parmi lesquels agissaient de nombreuses femmes, un des moyens de combattre la propagande esclavagiste. Le Parlement anglais avait alors aboli la traite depuis plus de vingt ans, mais se posait encore la question de l'esclavage, dont l'abolition dans les colonies britanniques fut acquise en 1833 avec une période transitoire de cinq années.

    Mary Prince raconte comment, à l'âge de douze ans, elle est vendue sur un marché aux esclaves des Bermudes et séparée de sa mère et de ses frères et sœurs. A chaque nouveau maître, à chaque nouvelle île, se répète dès lors une vie faite de travail forcé et de sévices presque quotidiens exercés sur elle ou sur ses compagnons. Après de longues et douloureuses années de servitude, elle accompagne son dernier propriétaire en Angleterre. Alors âgée d'une quarantaine d'années, mariée à Antigua à un homme libre, elle veut obtenir son affranchissement afin de pouvoir retrouver son île et son époux sans retomber dans l'esclavage. C'est sur ce témoignage que Thomas Pringle et ses amis de la société abolitionniste s'appuyèrent, entre autres, pour tenter d'obtenir la liberté de Mary Prince. Dans la seconde partie du récit, Thomas Pringle raconte la bataille menée pour obtenir l'affranchissement de Mary.

    Mary Prince veut par la précision de sa narration faire comprendre ce qu'est une vie d'esclave domestique dans les colonies antillaises au début du 19e siècle : « J'ai été esclave, j'ai ressenti ce que ressent un esclave et je sais ce que l'esclave sait. » Mary Prince qui a été vendue, louée à plusieurs reprises sait que l'esclave ne dispose ni de son corps ni de son temps et que c'est le désir du propriétaire qui rythme sa journée. Toutefois, par son récit Mary Prince affirme une identité singulière. Elle mène un combat pour obtenir son affranchissement et la possibilité de rejoindre en femme libre son mari à Antigua sans se désolidariser de ses compagnons : « Je ne peux pas en parlant de mes propres chagrins, passer sous silence ceux de mes compagnons d'esclavage, car lorsque je songe à mes propres douleurs, je me souviens des leurs. »

Eric MESNARD