L'esclavage comme réalité et l'esclavage comme métaphore politique [2]
« L'homme est né libre et partout il est dans les fers. Tel se croit le maître des autres, qui ne laisse pas d'être plus esclave qu'eux.
De quelque sens qu'on envisage les choses, le droit d'esclave est nul, non seulement parce qu'il est illégitime, mais parce qu'il est absurde et ne signifie rien. Ces mots, esclavage et droit sont contradictoires ; ils s'excluent mutuellement. Soit d'un homme à un homme, soit d'un homme à un peuple, ce discours sera toujours également insensé. Je fais avec toi une convention toute à ta charge et tout à mon profit, que j'observerai tant qu'il me plaira, et que tu observeras tant qu'il me plaira. »
« Renoncer à sa liberté c'est renoncer à sa qualité d'homme, aux droits de l'humanité, même à ses devoirs. »
Source : Jean-Jacques ROUSSEAU, Du contrat social, livre I chap. IV, 1762
TROIS POINTS
« En Europe, comme en Amérique, les peuples sont esclaves. L'unique avantage que nous ayons sur les nègres, c'est de pouvoir rompre une chaîne pour en prendre une autre.
Il n'est que trop vrai. La plupart des nations sont dans les fers. La multitude est généralement sacrifiée aux passions de quelques oppresseurs privilégiés. On ne connaît guère de région où un homme puisse se flatter d'être le maître sa personne, de disposer à son gré de son héritage, de jouir paisiblement des fruits de son industrie. Dans les contrées même les moins asservies, le citoyen, dépouillé du produit de son travail par les besoins sans cesse renaissants d'un gouvernement avide ou obéré, est continuellement gêné sur les moyens les plus légitimes d'arriver au bonheur. Partout, des superstitions extravagantes, des coutumes barbares, des lois surannées étouffent la liberté. Elle renaîtra sans doute un jour de ses cendres. A mesure que la morale et la politique feront des progrès, l'homme recouvrera ses droits. Mais pourquoi faut-il qu'en attendant ces temps heureux, ces siècles de lumière et de prospérité, il y ait des races infortunées à qui l'on refuse jusqu'au nom consolant et honorable d'hommes libres, à qui l'on ravisse jusqu'à l'espoir de l'obtenir, malgré l'instabilité des évènements ? Non quoi qu'on en puisse dire, la condition de ces infortunés n'est pas la même que la nôtre. »
Source : Denis DIDEROT, in Abbé G. Th. RAYNAL, Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des européens dans les deux Indes, Paris, 1772