L'esclavage comme réalité et l'esclavage comme métaphore politique [2]

    Deux textes de Diderot sont présentés ici en écho aux célèbres assertions de Rousseau dans le chapitre sur l'esclavage du Livre I du Contrat Social. Ces textes, qui n'ont pas eu droit à la même postérité prestigieuse que ceux de Rousseau, se montrent pourtant beaucoup plus attentifs à la réalité de l'esclavage dans les colonies, refusant de désigner indistinctement par ce même terme le rapport maître-esclave et le rapport souverain-sujet. L'ouvrage dont ils sont extraits, l' Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des européens dans les deux Indes, fut publié par l'Abbé Raynal en 1772 et connut tout de suite un immense succès (30 rééditions entre 1772 et 1789). Il tomba ensuite dans l'oubli. Il s'agissait d'une entreprise similaire à celle de l'Encyclopédie, mais avec pour objet spécifique la colonisation européenne. L'ensemble est traversé par les différentes tendances des Lumières, alternant les invectives les plus fermes contre la barbarie européenne et des suggestions de réforme des colonies et d'adoucissement de l'esclavage. Raynal lui-même était un personnage ambivalent, homme d'affaire, intéressé à la traite, payé pour certains écrits par le ministère des Affaires étrangères, et dans le même temps membre du salon de d'Holbach, donc de la mouvance la plus radicale des Encyclopédistes. Il n'en reste pas moins que son livre contient, en particulier sous la plume de Diderot, une condamnation sans appel de l'esclavage des Noirs qui contraste avec les généralités, les simples allusions ou même le silence de nombre d'auteurs des Lumières.

Vincent GREGOIRE