Peut-on sans contradiction condamner l'idée d'un esclavage par nature tout en se réclamant de l'autorité d'Aristote ? L'exemple de Francisco Vitoria


   Il reste à répondre à l'argument selon lequel les barbares sont esclaves par nature, sous prétexte qu'ils ne sont pas assez intelligents pour se gouverner eux-mêmes. A cet argument, je réponds qu' Aristote n'a certainement pas voulu dire que les hommes peu intelligents soient par nature soumis au droit d'un autre et qu'ils n'aient de pouvoir ni sur eux-mêmes ni sur les choses extérieures. Il parle de l'esclavage qui existe dans la société civile : cet esclavage est légitime et ne rend personne esclave par nature. S'il y a des hommes qui sont peu intelligents par nature, Aristote ne veut pas dire qu'il soit permis de s'emparer de leurs biens et de leur patrimoine, de les réduire en esclavage et de les mettre en vente. Mais il veut enseigner qu'ils ont naturellement et nécessairement besoin d'être dirigés et gouvernés par d'autres ; il leur est bon d'être soumis à d'autres, de même que les enfants ont besoin d'être soumis à leurs parents avant d'être adultes et la femme, à son mari. Que telle soit bien la pensée d'Aristote, c'est évident, car il dit pareillement que certains hommes sont maîtres par nature, à savoir ceux qui brillent par l'intelligence. Or il ne veut certainement pas dire que ces hommes peuvent prendre en main le gouvernement des autres, sous prétexte qu'ils sont plus sages. Mais il veut dire qu'ils ont reçu de la nature des qualités qui leur permettent de commander et de gouverner. Ainsi, en admettant que ces barbares soient aussi stupides et obtus qu'on le dit, on ne doit pas pour autant leur refuser un pouvoir véritable et il ne faut pas les compter au nombre des esclaves légitimes. Mais, nous le dirons plus loin, il est vrai que, pour cette raison et à ce titre, on pourrait avoir le droit de les soumettre.




 


Source : Francisco VITORIA, Leçon sur les Indiens, Première partie § 101, 1539