L'esclavage ne saurait être fondé sur le consentement de l'esclave mais sur le droit de tuer lié à la punition d'une faute ou à la conquête dans une guerre juste


    Cette absence de sujétion vis-à-vis de tout pouvoir absolu, arbitraire, est si nécessaire, si étroitement associée à la conservation de l'individu, que seul peut la lui faire perdre ce qui anéantit à la fois la conservation et la vie. Incapable de disposer de sa propre vie, l'homme ne saurait, ni par voie conventionnelle, ni de son propre consentement se faire l'esclave d'autrui, ni reconnaître à quiconque un pouvoir arbitraire, absolu de lui ôter la vie à discrétion. Nul ne saurait conférer plus de pouvoir qu'il n'en possède lui-même et celui qui ne peut pas détruire sa vie ne peut en rendre un autre maître. Même s'il encourt la peine capitale par sa faute, par quelque action qui mérite la mort, le créancier de sa vie, quand il le tient à sa merci, peut surseoir à la lui prendre et faire usage de sa personne à son propre service ; il ne lui cause aucun tort. En effet l'intéressé qui croit que la peine de l'esclavage outrepasse la valeur de sa vie garde la faculté de résister à la volonté de son maître et, de cette manière, d'attirer sur lui-même la mort qu'il désire.

    Voilà la condition de l'esclavage sous la forme parfaite et ce n'est rien d'autre que la continuation de l'état de guerre entre un conquérant légitime et son captif ; dès qu'un pacte intervient entre eux, s'ils conviennent que l'un exercera un pouvoir limité, auquel l'autre obéira, l'état de guerre et d'esclavage cesse pour toute la durée de ce pacte. On l'a dit, nul ne peut donner à autrui, par le moyen d'une convention, ce qu'il ne possède pas lui-même : c'est-à-dire le pouvoir de disposer de sa propre vie.


 


Source : John LOCKE, Deuxième traité du gouvernement, Chap. IV, § 23, 24, 1689