Affranchissement de la négresse créole Pélagie, 7 avril 1778
Il s'agit d'un acte officiel, passé devant notaire, avec son formalisme juridique, la lourdeur des formules employées, les références à des règlements qui régissent et encadrent la procédure...
Ce document a été établi en double minute (selon un édit du roi de juin 1776 : il y a obligation d'envoi en métropole d'une copie des actes signés aux colonies, aujourd'hui consultables au Centre des Archives d'Outre-Mer –CAOM- à Aix-en-Provence.
L'affranchissement s'effectue de par la volonté du maître (le motif d'affranchissement ne figure pas car le Code Noir ne fait pas obligation au maître de le stipuler). Ici : Jean-Nicolas Dubois affranchit-il sa « ménagère », la femme avec qui il vit en concubinage ?
Ce Dubois est inconnu par ailleurs, il est présenté comme « habitant le Haut-du-Cap » c'est-à-dire le premier bourg à la sortie de la ville du Cap-Français, de l'autre côté du morne (montagne) du Cap. Habitant peut signifier propriétaire d'une habitation mais il ne semble pas que ce soit le cas ici (il n'existe pas d'habitation Dubois dans la zone, à cette époque). On a probablement affaire à un Blanc employé sur une habitation, mais son activité réelle n'est pas indiquée.
Comme tout esclave, Pélagie n'a qu'un prénom, elle est âgée de 35 ans « environ » (l'approximation vient qu'il n'y a pas d'état civil précis pour les esclaves, dont les naissances ne sont mentionnées –quand elles le sont- que sur les bilans annuels que les gérants dressent pour les propriétaires), elle est née à Saint-Domingue puisque mentionnée comme « créole ». Elle n'a pas de « talent » particulier, pas de spécialisation (lavandière, cuisinière ou autre) selon l'acte.
L'affranchissement est effectif après paiement d'une taxe dite « de liberté » élevée : 1000 livres (prix d'une esclave « pièce d'Inde », de premier choix, à l'arrivée : 2500 livres en moyenne à l'époque). Ce montant élevé est à caractère dissuasif (éviter qu'il y ait trop d'affranchissements). Qui paie ? Le maître ou l'esclave par ses économies, son « industrie » comme on disait ? L'acte ne le précise pas explicitement.
Au-delà des formules lourdes, on observe qu'il faut l'accord de l'Intendant et du Gouverneur, autrement dit de l'administration bicéphale de l'île : pour le paiement de ladite taxe, pour enregistrer la personne affranchie comme désormais étant libre de ses mouvements, et donc ne pas la considérer comme esclave en fuite (en « marronnage ») ; l'affranchie a désormais un papier attestant de son affranchissement.
Depuis un règlement de 1773, passer dans la catégorie des libres revient à avoir désormais un patronyme que le maître donne (Stassin, ici). Autres exemples de patronymes rencontrés dans de tels actes : Mambo, Dahomet, Bréda.
Une fois affranchis, les esclaves devenus libres ne sont plus à la charge des maîtres mais doivent vivre par eux-mêmes. A cette époque est en train de se constituer une catégorie montante de « libres de couleur » qui concurrencent directement les petits blancs dans les professions d'artisans ou de commerçants, ou s'établissent en maître de terre (Toussaint Bréda a une caféière de treize hectares avec une vingtaine d'esclaves pour la cultiver), sans oublier la possibilité de promotion sociale via le service de milice.
A la veille de la Révolution, il y a à Saint-Domingue environ :
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- 30000 Blancs (libres par définition)
- 27000 Noirs et Mulâtres libres (« libres de couleur »)
- 500000 esclaves
- 30000 Blancs (libres par définition)
Par ailleurs, les gravures d'époque montrent les Noirs et Mulâtres libres comme bien habillés, ce qui n'est pas pour étonner : cela change totalement de la quasi nudité dans laquelle vivent les esclaves.
Jean-Louis Donnadieu