Montesquieu montre que la vente de soi ou de sa liberté est incompatible avec l'idée même de loi civile


    Il n'est pas vrai qu'un homme libre puisse se vendre. La vente suppose un prix : l'esclave, se vendant, tous ses biens entreraient dans la propriété du maître ; le maître ne donnerait donc rien, et l'esclave ne recevrait rien. Il aurait un pécule dira-t-on ; mais le pécule est accessoire à la personne. S'il n'est pas permis de se tuer parce qu'on se dérobe à sa patrie, il n'est pas plus permis de se vendre. La liberté de chaque citoyen est une partie de la liberté publique. Cette qualité, dans l'Etat populaire, est même une partie de la souveraineté. Vendre sa qualité de citoyen est un acte d'une telle extravagance, qu'on ne peut pas la supposer dans un homme. Si la liberté a un prix pour celui qui l'achète, elle est sans prix pour celui qui la vend. La loi civile, qui a permis aux hommes le partage des biens, n'a pu mettre au nombre des biens une partie des hommes qui devaient faire ce partage. La loi civile, qui restitue sur les contrats qui contiennent quelque lésion, ne peut s'empêcher de restituer contre un accord qui contient la lésion la plus énorme de toutes.





Source : MONTESQUIEU, De l'esprit des lois, 1. XV, ch. II, 1748