Le pouvoir despotique du maître peut il être légitimé par une convention motivée par la crainte ?

    L'autorité acquise par conquête, ou victoire à la guerre, est celle que certains écrivains politiques appellent DESPOTIQUE, de despotes, qui signifie seigneur ou maître, et est l'autorité (domination) du maître sur son serviteur. Et cette autorité est alors acquise par le vainqueur quand le vaincu, pour éviter dans l'instant le coup mortel, convient soit expressément par des mots, soit par des signes suffisants de la volonté, qu'aussi longtemps que sa vie et la liberté de son corps lui sont laissées, le vainqueur en aura l'usage à son bon plaisir. Et, une fois la convention passée, le vaincu est le SERVITEUR, et pas avant. En effet, par ce mot de serviteur (qu'il provienne de servire, servir, ou de servare, sauver, c'est aux grammairiens d'en disputer), on n'entend pas un captif, gardé en prison, ou dans les fers, jusqu'à ce que son propriétaire, celui qui l'a capturé ou acheté, décide de ce qu'il en fera (car ces hommes - communément appelés esclaves - ne sont tenus à aucune obligation, et peuvent rompre leurs chaînes et s'échapper de leur prison ; ils peuvent tuer ou enlever leur maître en toute justice), mais on entend celui à qui, étant capturé, on a laissé la liberté du corps, contre la promesse qu'il ne s'échappera pas, ni fera violence à son maître, et à qui celui-ci accorde sa confiance.

    Ce n'est donc pas la victoire qui donne un droit d'autorité (dominion) sur le vaincu, mais sa propre convention. Il n'est pas non plus obligé parce qu'il est conquis, c'est-à-dire battu, pris, ou mis en fuite, mais parce qu'il se rend au vainqueur et se soumet à lui. Le vainqueur n'est pas non plus obligé, par le fait que l'ennemi se rende à lui (sauf s'il a promis de lui épargner la vie), de lui faire grâce, car ceci relève de sa décision, ce qui n'oblige pas le vainqueur plus longtemps pour ce qu'il estime être souhaitable.


 


Source : Thomas HOBBES, Léviathan, II, 20, 1651 (traduction Gérard MAIRET)