Les étapes d'un voyage de traite, l'exemple de La Jeannette, 1743

 

    A l'aide de cinq extraits du journal tenu par l'officier de la Jeannette, Adam Joulin, l'élève découvre le parcours d'une campagne de traite. Il s'agit de l'itinéraire de la Jeannette, navire nantais parti du port de Nantes en 1743 à destination de Saint Domingue (1744). L'ensemble des documents est conservé et consultable aux Archives départementales de Loire atlantique.

    Ce journal tenu par l'officier pilote signale l'avancée de l'expédition au jour le jour, ce qui permet de suivre au plus près les événements, qu'ils soient routiniers ou plus extraordinaires (chronologie du voyage, conditions météorologiques, réalités commerciales de la traite, révolte, décès de membres de l'équipage ou de captifs ...).

    Ce bateau part le vendredi 10 mai 1743 de Paimbœuf, qui s'affirme au XVIIIe siècle comme l'avant port de Nantes, face à l'augmentation du tonnage des bateaux qui rend la navigation vers le fond d'estuaire de la Loire complexe, voire impossible.

    L'expédition de traite a pour destination la côte de Guinée, la Côte de l'or et le pays de Judas. Il touche l'Afrique courant juillet où commence la campagne de traite et accoste en septembre dans la rade du Petit Popo (pays de Judas dans l'actuel Bénin), puis poursuit son cabotage, notamment vers la rade d'Épée où se déroule une révolte des captifs le 5 octobre 1743. Contenue difficilement avec l'aide des intermédiaires locaux de la traite, la révolte fait 11 morts parmi les captifs (annotation en marge du journal en date du 5 octobre). L'équipage perd le capitaine en second et compte également au moins un blessé. Le bateau quitte la rade d'Épée le premier novembre 1743, fait une étape à l'Île du Prince à proximité des côtes africaines, île qu'il quitte le 6 décembre pour se lancer dans la traversée de l'Atlantique avec à son bord 246 captifs. Pour subvenir aux besoins en vivres, le navire dispose de la moitié du pain que nous « avion parten de françe et autre vivre nécessaire à l'équipage et plus de la moityé des fève pour les neigre » . Il charge également 268 barriques d'eau, 186 de farine de manioc « et autre rafraichissement pour nous rendre a Léoganne cotes de St Domingue lieu de nôtre destiné pour la vente ».

    Dans les Antilles, il est arrêté à deux reprises par des navires de guerre anglais et croise des navires corsaires français (mercredi 12 février). Ces rencontres de mer témoignent du fait que le commerce triangulaire est intimement lié aux conditions géopolitiques : en période de guerre, son volume chute littéralement, puisque les navires des puissances engagées contre la France arraisonnent les navires, confisquent les cargaisons. Inversement, lorsque les conditions de navigation redeviennent plus sereines, le trafic négrier reprend de plus belle, ce qui répond à une demande de main d'œuvre servile dans les colonies pour compenser le tarissement des sources d'approvisionnement en esclaves sur les marchés locaux.Il mouille en rade de Léoganne à Saint-Domingue le jeudi 27 février 1744, port dans lequel se trouvent 30 navires français. Il a perdu durant la traversée 4 captifs dont un enfant. Le journal signale aussi en date du 9 février, que le chirurgien du navire a dû couper le petit doigt d'un esclave suite à une morsure occasionnée par un autre captif. Enfin, le rôle d'armement contient les inventaires des biens des six marins décédés lors de la campagne. Le navire perd aussi un homme par désertion.

    J. Mettas, dans son Répertoire des expéditions négrières françaises au XVIIIe siècle signale la prise du navire par les Anglais le 3 juillet 1744 sans citer la source de cette information. Le journal d'Adam Joulin prend fin en date du 2 mars de la même année. En outre, il convient de signaler que le livre de Mettas comporte plusieurs erreurs ou approximations concernant ce bateau dont il signale l'arrivée à Léogane, île de Saint-Domingue le 12 mai 1744 alors que le journal atteste avoir mouillé en rade de Léogane ...par 7 brasse et demi de fond de vase le 27 février 1744.

    Le journal d'Adam Joulin se poursuit par le récit d'une autre expédition effectuée sur le Saint Jean, parti le 19 août de Léogane à destination de Bordeaux. Cette information atteste donc qu'au mois d'août 1744, cet officier s'est engagé sur un autre navire. Son journal contient par la suite le récit de trois autres expéditions auxquelles il a participé, dont celle du brigantin la Levrette datant d'avril 1748. A cette période, Adam Joulin a quitté Nantes puisqu'il déclare résider à Chinon en Touraine.

    Ce document constitue une source directe, quotidienne de la vie du bateau et des réalités de la campagne de traite, vue du côté européen. Sa perception des captifs et du commerce de traite ne répond à aucun objectif critique ou philosophique. Ce travail de rédaction constitue une activité administrative et économique vraisemblablement à destination de l'armateur du navire. Enfin, il témoigne de la mise en valeur des îles sucrières. Le bateau participe activement à l'économie coloniale qui fonde un système de dépendance économique vis-à-vis de la métropole qui constitue le débouché des produits coloniaux mais aussi le centre d'impulsion économique par le financement des campagnes de traite qui fournit la main d'œuvre indispensable à la culture sucrière.

Hugues ALBERT
Youenn COCHENEC