Vente d'esclaves au Brésil et en Guyane, 1696

 

    Le 3 juin 1695, une flotte de six navires quitte le port de La Rochelle pour un voyage de près de 23 mois. L'escadre se dirige d'abord vers le golfe de Gambie avec un double objectif :

    1. montrer la puissance française face aux Anglais en Afrique (et ultérieurement face aux Portugais en Amérique latine) ;

    2. initier un commerce de traite négrière depuis le littoral africain jusqu'aux colonies françaises d'Amérique.

    La flotte quitte l'Afrique en octobre, puis, portée par les alizés, atteint Rio de Janeiro le 4 décembre 1695, longe l'Amérique latine vers le sud jusqu'au détroit de Magellan (première moitié de l'année 1796) avant de revenir vers Rio où elle fait escale et vend quelques esclaves en juillet de la même année. Début août, elle poursuit vers le nord en direction de la Guyane française, limitrophe de la colonie portugaise.

    La vente des 40 esclaves survivants se fait à Cayenne. La Guyane est alors une bien modeste colonie comptant à peine une centaine de plantations, nombre d'entre elles se réduisant à une habitation de survie élémentaire (en 1709, un quart d'entre elles ne disposent d'aucun esclave et seules huit relèvent de véritables plantations avec plus de 50 esclaves)

    Le prix des esclaves dans les colonies françaises d'Amérique à la fin du XVIIe s. s'élève à 500 livres en moyennes. Dans la réalité, il existe une différence entre le coût payé pour un homme, une femme ou un enfant.

    Le prix d'un esclave augmente régulièrement : de 300 livres environ en 1684, il atteint 500 livres autour de 1700, 1 000 livres trente ans plus tard et plus du double vers 1760. Seuls les colons les plus riches pouvaient acquérir des esclaves : le salaire annuel du gouverneur, poste le plus élevé de l'administration coloniale d'alors, correspond au prix de quatre esclaves vers 1760.


Appointements du personnel colonial en Guyane,
1739 et 1755 [1]

 Qualité  1739 1755
 Gouverneur  3.000  9.000
 Juge  540  540
 Lieutenant du roi  1.200  1.200
 Major  1.320  1.320
 Médecin du roi  1.500  1.500
 Ordonnateur  6.000

 

    Les esclaves ont été ici vendus au comptant, ce n'était pas le cas le plus fréquent dans la colonie. En 1764, un avocat installé en Guyane écrit : « La médiocrité des fortunes est si générale ici, qu'un grand nombre d'étudiants, qui ont fait des acquisitions depuis 10 ans et plus, les doivent encore presqu'en entier... ». [2]

    Par ailleurs le manque de numéraire implique fréquemment un paiement en productions coloniales : sucre, café, rocou etc.

    Enfin, cette « cargaison » d'esclaves est vendue par « lots » et non en une seule fois au fur et à mesure de l'itinéraire de cette flotte.

    Cette pratique est documentée dans d'autres expéditions négrières, en particulier lorsque les acheteurs potentiels ne peuvent pas payer au comptant ou ne paraissent pas solvables.

    Lors du voyage étudié ici, il semble que les esclaves traités furent utilisés comme monnaie d'échange tant au Brésil qu'en Guyane pour se procurer en particulier les vivres nécessaires à la poursuite du voyage et donc vendus au fur et à mesure des besoins de l'escadre.

Marie POLDERMAN

 

1.
Marie Polderman, La Guyane française, 1676-1763, Ibis Rouge éditions, 2004, p. 605. 
2.
Charles Larère, « La suppression de la mission de la Guyane française, 1763-1766 », in Archivum Historicum societas Iesu, volume IX, 1940.