Un roi africain de l'estuaire de la Gambie et des Européens,
à la fin du XVIIe s.
Ces quelques courts extraits du journal de bord d'une expédition rochelaise, tenu par le chevalier de Torcy, soulignent l'importance des relations entre souverains africains et Européens.
Ce voyage nous est connu par le journal de bord de l'expédition. Ce manuscrit de 196 pages fait partie d'une série de journaux de bord conservés aux Archives nationales. Il décrit un voyage de près de deux ans tout au long du littoral atlantique, de l'Afrique à l'Amérique du Sud.
Le 3 juin 1695, une flotte de six navires quitte ainsi le port de La Rochelle pour un voyage de près de 23 mois. L'escadre se dirige d'abord vers le golfe de Gambie avec un double objectif : montrer la puissance française face aux Anglais et ce faisant initier des échanges commerciaux que l'on espère durables.
La traite n'est pas uniquement négrière : elle s'inscrit dans un système d'échanges ancien qui permettait aux Européens de se procurer des produits d'Afrique. Pour ce faire, l'appui des souverains africains du littoral est incontournable : il est la clé pour accéder aux richesses de l'intérieur du continent.
C'est dans ce contexte que se situe la prise du fort Saint-Jacques aux Anglais dans l'estuaire de la Gambie, fleuve permettant l'accès à des ressources convoitées par les Européens tel de l'or, de l'ivoire et des esclaves. Cet accès est contrôlé par le roi africain appelé « le roi Barre ».
Les sociétés africaines sont en effet politiquement organisées en « royaumes ». Les souverains africains entretiennent des relations diplomatiques entre eux ainsi qu'avec les Européens. Ceux-ci n'ont jamais pu véritablement pénétrer à l'intérieur des terres africaines : «les Africains interdisent l'accès de l'intérieur du continent aux Européens », mais ils ne souhaitent pas nécessairement être en guerre avec eux. Les souverains africains sont donc des intermédiaires obligés pour commercer, et peuvent faire jouer la concurrence entre puissances européennes ou choisir avec qui traiter. Les souverains africains sont aussi des acteurs essentiels dans l'établissement des termes de la traite : types et quantités de marchandises, fixation des prix. Les Européens leur versent des « coutumes », c'est-à-dire des cadeaux avant d'entamer des négociations commerciales.
La traite n'oppose donc pas de manière binaire Européens et Africains. Les jeux d'alliances sont beaucoup plus complexes : ils se traduisent par des rivalités entre Européens pour s'assurer un partenariat commercial solide avec les puissances africaines du littoral. Des intermédiaires, comme ce Français installé depuis plus de dix ans en Gambie, servent d'interprète pour établir des relations entre souverains africains et Européens, prélude aux opérations de traite.
Mais le journal souligne aussi que ces relations sont fondées sur la menace et la contrainte : les Français annoncent qu'ils mettraient « leur pays à feu et à sang » si les Africains aidaient d'une quelconque manière les Anglais.
Après avoir acheté marchandises et esclaves, la flotte se dirige ensuite vers l'Amérique du Sud et les Antilles avant de rentrer au port de La Rochelle en 1697.
On pourra se reporter à :
- Boubacar BARRY, La Sénégambie du XVe au XIXe s. : traite négrière, islam et conquête coloniale, Paris : L'Harmattan, 1988
- Jean-Michel DEVEAU, La traite rochelaise, Paris, Karthala, 1990
- Ibrahima THIOUB, Entretien sur l'esclavage, réalisé par Camille Bauer, (Version intégrale de l'entretien publié dans l'Humanité du 24 juin 2008)]
- François RENAUT, Serge DAGET, Les traites négrières en Afrique, Paris : Karthala, 1985
Marie Polderman