Introduction


    Comment envisager l'étude de l'esclavage dans l'enseignement du français au lycée ? Quelle place donner à ce sujet, ainsi qu'aux questions sensibles de l'identité et de l'altérité, de la multiplicité des appartenances et des représentations racistes qui peuvent y être associées ? La littérature francophone africaine et antillaise peut être une des entrées privilégiées pour aborder ces problématiques.

    En effet, les documents d'accompagnement des programmes proposent notamment aux professeurs de français d'envisager l'objet d'étude qu'est l'argumentation par la problématique suivante : « Littérature et altérité ». Il est précisé que ce thème « invite à réfléchir sur des textes portant par exemple sur la découverte du Nouveau Monde mais aussi sur la colonisation et la francophonie (permettant des relations avec le programme d'histoire de seconde) ». Il est donc justifié, dans ce cadre, et au regard des différentes notions que sont la francophonie, l'altérité et l'histoire littéraire, de repenser l'enseignement du français au lycée à la lumière de la littérature francophone afro-antillaise.     De la sorte, les thèmes de la traite, de l'esclavage, et des thématiques connexes (colonisation, métissage, mémoire, préjugés racistes, etc.) pourront être abordés avec les élèves par le biais d'une double approche : celle des auteurs métropolitains d'une part, celle des auteurs africains et antillais d'autre part.

    En effet, une séquence sur l'argumentation et l'altérité permettra par exemple de réfléchir à la notion d'esclavage en étudiant des textes comme ceux de Condorcet (Réflexions sur l'esclavage des nègres), Montesquieu (De l'esclavage des nègres), Voltaire (« Le nègre de Surinam », Candide), ainsi que des textes comme Les Damnés de la terre de Frantz Fanon, des extraits de Bessora (Deux bébés et l'addition), Chamoiseau (Chemin d'école), Maryse Condé (Moi, Tituba sorcière noire de Salem) ou encore Ahmadou Kourouma ou Tierno Monénembo, pour n'en citer que quelques uns. La confrontation, ou plutôt la rencontre entre ces différents regards ne pourra qu'enrichir les questionnements à l'œuvre dans une séquence sur l'argumentation étudiée au travers du concept d'altérité tel qu'il est décliné dans la littérature, et posant la question de l'esclavage et de la colonisation.

    C'est en outre en classe de seconde que les élèves abordent et conceptualisent pour la première fois la notion de mouvement littéraire en tant que tel. Aussi, comme l'indiquent les documents d'accompagnement des programmes, « l'année de seconde prend-elle en compte les mouvements qui ont constitué des points essentiels dans la formation de la littérature en France ou dans le domaine francophone ».

    Ainsi, faire comprendre aux élèves ce qu'est un mouvement littéraire en interrogeant la littérature francophone afro-antillaise permettra de problématiser cette notion tout en la définissant. Dès lors, les élèves, avec l'aide de leur professeur, pourront mettre en place une réflexion sur les limites et les enjeux d'un tel concept, dépassant l'apprentissage d'une définition stricto sensu. En effet, la littérature francophone ne peut être catégorisée comme un mouvement littéraire.

    Cependant, le fait même d'échapper à ce classement pose de multiples interrogations : qu'est-ce qu'un mouvement littéraire ? Quelles sont les limites d'une telle notion ? Qu'est-ce que la littérature francophone ? Quelle place lui accorder relativement à la littérature dite française ? On pourra demander aux élèves d'être attentif à l'endroit où les œuvres francophone sont rangées dans les cdi, les bibliothèques et les librairies : la littérature francophone est-elle mélangée à la littérature française ? Est-elle rangée dans un rayon à part ? Ce rayon est-il nommé littérature étrangère ou littérature francophone ?

    En effet, la question du lien ou de la différence entre littérature francophone et littérature française fait débat : les prescriptions officielles reprennent par exemple à leur compte la distinction entre littérature française et littérature francophone, comme si cette dernière était d'une nature différente. Or, cette position mérite d'être examinée. Certes, cette littérature s'inscrit dans un contexte socio-historique différent de celui de l'hexagone. On peut en revanche se demander quelle différence existe entre un auteur écrivant en français et résidant dans son pays (une ancienne colonie dans le cas qui nous intéresse), et un écrivain d'origine étrangère (toujours d'une ancienne colonie) mais issu de l'immigration, donc né et résidant en France.

    En outre, si l'on admet que la littérature francophone se définit comme la littérature écrite en langue française, comment expliquer et comprendre que l'on appréhende en réalité sous cette expression la littérature française non métropolitaine ? S'agit-il alors de poser la question de la pluralité des espaces, celle des contextes socio-historiques, ou bien des styles d'écriture ? Peut-on et doit-on penser la notion de mouvement littéraire dans une répartition contextuelle et/ou spatiale de la littérature ?

    Réfléchir avec les élèves à la légitimité et au sens de ce classement qui distingue et sépare littérature française et littérature francophone leur permettra dès lors de s'approprier efficacement la définition du mouvement littéraire en la réinvestissant dans un travail de problématisation – formateur à ce moment de leur scolarité où les élèves apprennent notamment l'exercice de la dissertation, et donc de la réflexion nuancée.

    Enfin, les documents d'accompagnement ajoutent que « le cours de français contribue ainsi à la formation de la conscience historique [des élèves]». Les documents suggèrent ensuite une longue liste d'œuvres à proposer en lecture aux élèves, parmi lesquelles nous trouvons : Dans la peau d'un noir de Griffin, Amkoullel, l'enfant peul d'Hampaté Bâ, L'enfant noir de Camara Laye, La rue Cases-Nègres de Zobel. La liste étant non exhaustive, rien n'empêche de choisir d'autres œuvres, dans cette même orientation de mouvement littéraire ou de « conscience historique », qui aborderaient plus précisément le thème « traites et esclavage ».

    Les documents précisent qu' « il s'agit de permettre qu'apparaissent peu à peu les scansions majeures de l'histoire littéraire, à partir de phénomènes et de questions toujours sensibles aujourd'hui ». Là précisément se situe tout l'enjeu de l'enseignement de l'esclavage au lycée par la littérature : attirer l'attention sur le fait qu'il s'agit précisément d'une période importante (en termes de durée comme en termes d'impact) de notre histoire, dont parle la littérature, et encore plus fortement la littérature africaine et antillaise francophone.

    Ceci permet ainsi d'insister sur l'idée que cette thématique trouve sa place dans l'enseignement actuel parce qu'elle est à l'origine de « questions toujours sensibles aujourd'hui », ce qui lui confère bien une légitimité en tant qu'objet d'étude dans l'enseignement du français au lycée. En outre, analyser en diachronie les différences et les similitudes du discours littéraire portant sur l'esclavage permettra de mettre en exergue les « scansions majeures de l'histoire littéraire ».

    Enfin, si le fait de questionner la notion de mouvement littéraire par les œuvres africaines et antillaises oblige à une réflexion symétrique sur la place de cette littérature francophone dans notre histoire littéraire, il s'avère que les thèmes (comme l'esclavage) abordés par ces récits imposent, corollaire obligé, de reconsidérer l'importance de leur rôle dans notre histoire.



Programme de Seconde


Niveau Objet d'étude Commentaires et suggestions des BO Commentaires et suggestions des documents d'accompagnement
2nde

BO n°41 du 07.11.2002

L'argumentation :
  • Démontrer, convaincre et persuader.
  • L'éloge et le blâme.
Etude de l'argumentation et des effets sur le destinataire. Une problématique possible : « littérature et altérité ». Il est possible d'étudier des « textes portant sur la découverte du Nouveau Monde, sur la colonisation et la francophonie ».
2nde

BO n°41 du 07.11.2002
Le récit : le roman ou la nouvelle. Une œuvre du XIXe ou XXe siècle.
  • Prendre en compte les mouvements littéraires « qui ont constitué des points essentiels dans la formation de la littérature (…) dans le domaine francophone ».
  • Contribuer « à la formation de la « conscience historique » des élèves.
  • Saisir « les scansions majeures de l'histoire littéraire, à partir de phénomènes et de questions toujours sensibles aujourd'hui ».
  • L'étude du narratif romanesque s'articule bien, entre autre, avec la notion de littérature engagée.
Propositions de lectures (parmi d'autres):
  • Griffin, Dans la peau d'un noir.
  • Hampaté Bâ, Amkoullel, l'enfant peul.
  • Laye, L'enfant noir.
  • Zobel, La rue Cases-Nègres..

Suggestions



Pour l'argumentation

On peut choisir un corpus permettant d'étudier en diachronie et en synchronie la représentation de l'Autre dans les textes argumentatifs.

    • En lecture analytique

Réflexions sur l'esclavage des nègres, chap. II, Condorcet.

« De l'esclavage des nègres », in De l'Esprit des Lois, Montesquieu.

« Le nègre de Surinam », in Candide, chap. XIX, Voltaire.

Histoire des deux Indes, Abbé Raynal (Diderot).

Les Damnés de la terre, Frantz Fanon.

« Orphée noir », Préface à l'Anthologie de la nouvelle poésie noire et malgache de langue française, J.P. Sartre.

Article « traite des nègres », in Encyclopédie, Jaucourt.

    • En lecture cursive

Le Code noir : lecture simple d'extraits, en devoir maison ou lecture en cours suivie d'une réflexion orale avec les élèves. On pourra également en lire des extraits dans le cadre d'un débat organisé avec les élèves, sur l'altérité par exemple.


    • Littérature francophone

Une vie de boy, Ferdinand Oyono (relations blancs-noirs en Afrique, colonisation).

Une si longue lettre, Mariama Bâ (la femme africaine).

L'Allée des Soupirs, R. Confiant (esclavage, colonisation aux Antilles).

Black Bazar, A. Mabanckou (préjugés racistes, relations noirs-blancs aujourd'hui en France).

    • Littérature étrangère

Sur l'esclavage :

Le monde connu, Edward P. Jones.

Racines, Alex Haley.

Beloved, Tony Morrison.

Pleure, ô pays bien- aimé, A. Paton (apartheid, Afrique du sud).

Dans la peau d'un noir, J.H Griffin (apartheid Nouvelle- Orléans, identités noire-blanche).


Pour le récit

    • Nouvelles

« L'Homme », in Jazz et vin de palme, E. Dongala.

Tribaliques, H. Lopes.

    • Romans

Le Chercheur d'Afriques, Henri Lopes (le métis entre France et Afrique).

Le Ventre de l'Atlantique, Fatou Diome (immigration).

L'Etrange destin de Wangrin, Amadou Hampaté Bâ (colonialisme français en Afrique).

Deux bébés et l'addition, Bessora (relations noirs-blancs-métis, esclavage et colonisation).

Une si longue lettre, Mariama Bâ.

Une vie de boy, Ferdinand Oyono.

Moi, Tituba, sorcière noire de Salem, Maryse Condé (esclavage, femmes et sorcières de Salem).

Chemin d'école, Patrick Chamoiseau (enfance antillaise, colonisation).

L'Allée des Soupirs, Raphaël Confiant.

Black Bazar, Alain Mabanckou.

Ville cruelle, Eza Boto (Mongo Beti)

Programme de Première

Niveau Objet d'étude Commentaires et suggestions des BO Commentaires et suggestions des documents d'accompagnement
1ère

BO n°40 du 02.11.2006
Le roman et ses personnages : vision de l'homme et du monde Etudier le roman :
  • comme une forme littéraire privilégiée de représentation de l'homme et du monde.
  • comme une œuvre dans son contexte littéraire, historique et culturel.
  • par des œuvres appartenant à des périodes significatives de l'histoire littéraire et culturelle, qui révèlent des enjeux de l'expérience humaine et participent de débats d'idées importants.
Elargir aux œuvres du XVIIe et XVIIIe siècle.
1ère

BO n°40 du 02.11.2006
Poésie. « A travers l'étude de poèmes, on fera discerner les continuités et les évolutions qui ont marqué l'histoire de la poésie. »
Corpus : un recueil de poèmes ou un groupement de textes poétiques (du XVIe siècle à nos jours), au choix du professeur.
« Le professeur a toute liberté pour constituer des groupements de textes susceptibles de faire (…) saisir les continuités et les ruptures » de l'histoire de la poésie.


Niveau Objet d'étude Commentaires et suggestions des BO Commentaires et suggestions des documents d'accompagnement
1ère

BO n°40 du 02.11.2006
L'argumentation : convaincre, persuader et délibérer. Il s'agit de réfléchir aux modalités de l'argumentation directe ou indirecte à travers les problèmes que posent les différentes formes de l'essai, de la fable ou du conte philosophique. Approfondir l'argumentation par l'essai et par le récit fictif.
1ère

BO n°40 du 02.11.2006
Un mouvement littéraire Etudier « un mouvement littéraire et culturel du XVIe, du XVIIe ou du XVIIIe siècle, en le situant dans son contexte européen et en le mettant en relation avec les éléments d'histoire littéraire découverts en classe de seconde ». Cet objet d'étude implique :
  • une nécessaire mise en contexte
  • une étude méthodique de données historiques esthétiques et sociales essentielles pour construire cette notion de mouvement littéraire.
  • D'envisager le domaine français dans ses relations avec des phénomènes internationaux, en particulier européens.
  • D'aborder la question des relations et influences entre cultures.

Suggestions

Pour le roman et ses personnages

- Le Roi de Kahel, Tierno Monénembo (relations entre les peuples européens et africains, colonisation).

- Bug-Jargal, V. Hugo (portrait d'un esclave, relations entre maîtres et esclaves).





- Le Lys et le Flamboyant, Henri Lopes (relations entre noirs, blancs et métis, dans le cadre de l'histoire esclavagiste/ coloniale).

- Ville cruelle, Eza Boto (Mongo Beti) (les drames d'une Afrique dominée).


Pour la poésie

Il est intéressant, dans ce cadre, d'étudier la prise de parole d'auteurs francophones évoquant l'esclavage, la colonisation, ou l'image de l'homme noir/blanc par la poésie :

- Cahier d'un retour au pays natal, Aimé Césaire.

- « Chaka », in Ethiopiques, Léopold Ségar Senghor.

- « Femme noire », in Chants d'ombre, Léopold Ségar Senghor.

Pour l'argumentation

Un corpus de textes intégrant la question du mythe du bon sauvage permettra par exemple de sensibiliser les élèves aux enjeux argumentatifs de différentes formes.

- L'essai
Discours sur le colonialisme, Aimé Césaire.

Peau noire, Masques blancs, Frantz Fanon.

- L'argumentation indirecte

Les Soleils des indépendances, A. Kourouma. (Travail possible sur la satire, le registre polémique, l'ironie).

Deux bébés et l'addition, Bessora (l'ironie, l'humour caustique).

Le Roi de Kahel, Tierno Monénembo (fable ironique, conte philosophique, dans la tradition du XVIIIe siècle français).

Pour un mouvement littéraire

Les Lumières : nombreux textes sur l'esclavage. Cf. ci-dessus : 2des> argumentation>lecture analytique.

16e -17e siècles : il peut être intéressant d'approfondir l'image du Noir dans la conscience européenne à l'occasion de l'étude de Rabelais (Pantagruel) ou Racine (Bajazet) par exemple.

Clémentine CAPLAT