Une « bande » de marrons dans la forêt guyanaise au XVIIIe siècle


Un Jésuite et les marrons de la Montagne Plomb

 

    Elzéar Fauque, entre chez les Jésuites de Carpentras ou d'Avignon en noviciat et est ordonné prêtre en 1714. Il part en Guyane où il s'installe sur l'Oyapock pour évangéliser les Palikour, fonde la mission de l'Approuague, puis devient curé de Cayenne. Jusqu'en 1763, les Jésuites jouent un rôle fondamental dans la société coloniale en Guyane : ils créent des missions regroupant les Amérindiens, dans le but de les évangéliser, missions financées essentiellement par les profits obtenus de leurs grandes habitations esclavagistes.

    Fauque est l'auteur de sept lettres imprimées dans les « Lettres édifiantes et curieuses », y décrivant sa mission pastorale mais aussi quelques aspects de la société coloniale.

    Le Pére Fauque considère que ce sont les mauvais traitements qui poussent les esclaves à fuir. Pour éviter des poursuites très onéreuses, rarement fructueuses ou qui se concluent par la mort de l'esclave, affaiblissant ainsi en main d'œuvre les habitations, le Père Fauque se propose comme intermédiaire entre les autorités et les marrons de la Montagne Plomb. Il promet à ces derniers amnistie et vente à un autre maître, et finit par convaincre quelques marrons de réintégrer le monde des habitations. Mais ses promesses, en particulier celle d'être revendu à un nouveau maître, n'étant pas tenues, ceux -ci marronnent à nouveau !

« Cependant les Nègres, accoutumés pour la plupart à jouir de leur liberté dans leur Patrie, se font difficilement au joug de l'esclavage, quelquefois même on le leur rend tout-à fait insupportable, car il se trouve-des maîtres (je le dis en rougissant) qui n'ont pas pour eux non-seulement les égards que la Religion prescrit, mais les attentions que la seule humanité exige. Aussi arrive-t-il que plusieurs s'enfuient, ce que nous appelons ici aller marron ; et la chose leur est d'autant plus aisée à Cayenne, que le Pays est, pour ainsi dire, sans bornes, extrêmement montagneux, et boisé de toutes parts. Ces sortes de désertions (ou marronnages) ne peuvent, manquer d'entraîner, après soi, une infinité de désordres. Pour y obvier, nos Rois, dans un code exprès, qu'ils ont fait pour les Esclaves, ont déterminé une peine particulière pour ceux qui tombent dans cette faute. La première fois qu'un esclave s'enfuit, si son maître a eu la précaution de le dénoncer au Greffe, et qu'on le prenne un mois après le jour de la dénonciation, il a les oreilles coupées, et on lui applique la fleur-de-lis sur le dos. S'il récidive, et qu'après avoir élé déclaré en Justice, il reste un mois absent, il a le jarret coupé ; et à la troisième rechute il est pendu. On ne saurait douter que la sévérité de ces lois n'en retienne le plus grand nombre dans le devoir ; mais il s'en trouve toujours quelques uns des plus téméraires, qui ne font pas difficulté de risquer leur vie pour vivre à leur liberté. Tant que le nombre des fugitifs ou marrons n'est pas considérable, on ne s'en inquiète guère ; mais le mal est quand ils tiennent à s'attrouper, parce qu'il en peut résulter les suites les plus fâcheuses. C'est ce que nos; Voisins les Hollandais de Surinam ont souvent expérimenté [...].

Pour garantir Cayenne d'un semblable malheur, M. d'Orvilliers, Gouverneur de la Guyane Française, et M. le Moine, notre Commissaire-ordonnateur, n'eurent pas plutôt appris qu'il y avait près de 70 de ces malheureux rassemblés à environ 10 à 12 lieues d'ici, qu'ils envoyèrent après eux un gros détachement composé de troupes réglées et de milice. [...] Mais toutes les précautions et toutes les mesures que put prendre celte troupe, ne rendirent point son expédition fort utile. Il n'y eut que trois ou quatre marrons d'arrêtés, dont un fut tué, parce qu'après avoir été pris, il voulait encore s'enfuir. Au retour de ce détachement, M. le Gouverneur, à qui les prisonniers avaient fait le détail du nombre des fugitifs, de leurs différents établissemens, et de tous les mouvemens qu'ils se donnaient, pour augmenter leur nombre, se disposait à envoyer un second détachement, lorsque nous crûmes qu'il était de notre ministère de lui offrir d'aller nous mêmes travailler à ramener dans le bercail ces brebis égarées. [...] Plusieurs motifs nous portaient à entreprendre cette bonne œuvre. Nous sauvions d'abord la vie du corps et de l'âme à tous ceux qui auraient pu être tués dans les bois ; car il n'y a guère d'espérance pour le salut d'un Nègre qui meurt dans son marronnage. Nous évitions encore à la Colonie une dépense considérable, et aux troupes une très grande fatigue. Outre cela, si nous avions le bonheur de réussir, nous fesions rentrer dans les ateliers des habitans, un bon nombre d'esclaves dont l'absence fesait languir les travaux. »

Jacqueline Zonzon


Source : Lettre du Père Fauque, de la Compagnie de Jésus, au Père Allart, de la même Compagnie. A Cayenne, le 10 Mai 1751. Lettres édifiantes et curieuses, écrites par des missionnaires de la Compagnie de Jésus, Mémoires d'Amérique.