Une « bande » de marrons dans la forêt guyanaise au XVIIIe siècle


    Extrait : de « Déclaration et éclaircissement tiré par M. Le Tenneur, lieutenant criminel de Cayenne, sur l'Interrogatoire du nommé Louis, nègre esclave du sieur Gourgues l'Aîné, âgé d'environ quinze ans, amené par le détachement de Monsieur de Préfontaine au dit Cayenne, le vingt six du présent mois d'octobre mille sept cent quarante huit, du quartier général des Marrons d'au dessus de Tonnégrande à l'ouest de, après avoir fait prête serment au dit Louis de dire vérité sous promesse de grâce. »

 

    « A déclaré et est convenu qu'il est marron depuis environ dix-huit lunes, avec Rémy, son père, et autres nègres de son dit maître, lequel Rémy ayant eu du mécontentement dudit sieur Gourgues et en ayant été fouetté, avait médité ce marronnage, préparé ses vivres sans se dispenser d'aller au travail et, deux jours après, serait parti avec ledit Louis son fils, Claude, Louis Auge et Paul, son frère, dans un petit canot de pêche appartenant au sieur Sébastient Gourgues;[...] qu'ils n'ont arrêté dans aucune case en venant à Cavalay, [...] que ledit Paul et ledit Louis Auge ayant pris le parti de se rendre à leurs maîtres, s'en étaient retournés dans le même petit canot de pêche à la Comté; [...] que ledit André, avec Sébastien et Michel, serait venu les trouver avec un canot [...] pour les conduire au quartier général des marrons [...]ayant toujours marché à travers le grand bois par une infinité de détours, et qu'ils étaient chargés de leurs vivres [...]consistant en bananes et en poisson boucané, [...]qu'ils couchèrent cette première journée dans le bois et arrivèrent le lendemain au quartier général, vers l'heure de midi, par plusieurs détours, ayant traversé beaucoup de petites rivières et de montagnes, [...]

    [...] que, dans ledit quartier, il y a vingt sept cazes et trois carbets [1]. [...] que les dites cases appartiennent et sont occupées par vingt neuf nègres mâles pièce d'Inde travaillants, vingt deux négresses aussi travaillantes, neuf négrillons et douze négrittes, ce qui fait le nombre de soixante douze esclaves [...]

    Ledit Louis a observé que Couacou panse les plaies ainsi qu'André, et ledit Couachy racommode les fusils.

   Que Sébastien et Jeanneton soignent.

   Que Bernard surnommé Couacou baptise avec l'eau bénite et récite journellement la prière.Que tous les nègres et négresses ont des haches et des serpes et plusieurs rechanges [...]. Qu'André a deux petites platines [2]  à cassaves [3]  et Augustin de même, qui servent à toute la troupe.

   Que Sébastien a un cul de chaudière à rocou qui sert à faire de la cassave, d'autres desdits nègres ont de roches à pareil usage qui sont plates, et ont tous des chaudières.

   Que le dit André, Louise, Rémy et Félicité,[...] sont tous à la ptisanne (sic) dans leurs cases, savoir André pour les Pians 4 , Rémy pour un mal au pied qu'il appelle sort, Félicité a mal par tout le corps par sort, à ce qu'elle a dit, et Louise pour un chancre qu'elle a au nez et à la gorge. [...] Qu'il n'est mort personne de la troupe depuis deux ans.

    Qu'on obéit exactement aux ordres du capitaine; [...]. Qu'André fait fouetter ou fouette lui-même ceux qui le méritent. [...].

    Que le dit André et d'autres affidés sortent de temps en temps pour aller faire des recrues du côté de Tonnégrande. [...]

    Que l'on entend distinctement les coups de canon tirés de Cayenne, qu'ils connaissent quand il s'agit d'alarme

    [...] Quant il arrive de nouveaux marrons, on leur fait mettre des vivres en commun jusqu'à ce qu'ils aient fait un abattis et que leurs plantages soient bons à manger. Que lorsqu'il s'agit de faire des abattis, chacun y travaille, et, lorsqu'ils ont brûlés, on en marque à chacun une part, suivant leur famille, pour la planter et entretenir.

    Que les cochons de bois qu'ils tuent très fréquemment, se partagent entre tous ainsi que d'autres gros gibier, même le poisson qu'ils enivrent quand la pêche est considérable [...] qu'il y a peu de biches, mais qu'il y a toute sorte d'autre gibier, beaucoup de tigres qu'ils prennent avec des trappes, qu'ils les laissent dans le bois avec leurs peaux dont ils ne font aucun usage ny profit faute de débouchements.

    Qu'il n'y a aucun chemin ni sentier qui conduise à Couroux [4]  ni ailleurs, qu'ils ne sont guidés que par le cours du soleil et des rivières dont André et d'autres chefs marrons savent le cours.

    Qu'il ne leur connait aucune correspondance, que c'est eux-mêmes qui entretiennent et raccommodent leurs armes qui sont toujours en bon état, mais qu'à force d'avoir tué du gibier, ils se trouvent sans poudre ni plomb, excepté quelques coups de poudre en cas de besoin, qu'ils employent ordinairement des petites roches [...] au lieu de plomb qui sont très dures et en abondance dans ce quartier. [...]

    [...] ils n'ont plus que cinq chiens, il n'y a que Coûachy qui ait des volailles; ils n'ont aucuns chats; beaucoup de nègres mangent des rats; c'est par le secours de leurs flèches, de leurs chiens et des trappes qu'ils se procurent maintenant leur gibier, faute de poudre, fouillant des packs [5],  des tatous, et autres gibiers de terre.

    [...] Qu'ils ont fait, pendant cet été, trois abattis qui sont éloignés des anciens d'environ une lieue [...] que les dits abattis sont en plat pays et presqu'entièrement plantés en manioc, mil, riz, patates, ignames, cannes de sucre, bananniers, et autres vivres, et beaucoup de coton, y ayant eu beaucoup de pluie pendant cet été.

    Que les femmes pendant les mauvais temps filent du coton et travaillent aux abattis dans le beau temps.

   Que Couachy, Augustin et Bayou font des toiles de coton qui servent à procurer des tanga [6]  aux négresses et des calembis [7]  aux nègres, [...]

    [...] Qu'ils observent exactement les fêtes qu'ils connaissent et les dimanches sans travailler, récitant ses jours là le chapelet outre leurs prières ordinaires.

    Qu'ils tirent du sel des cendres de Maracoupy.

    Qu'ils font de la boisson avec des patates, des ignames, des bananes, des baccoves [8]  et diverses graines, outre le Nicou et le Cacheiry.

    Louis déposant a été pris par les nommés Sant Germain, Oreste et Scipion, mulâtre et nègres libres du détachement sans violence et par surprise, comme il revenait des vieux abattis d'Augustin; que Rémy, son père, et Couachy avec lesquels il venait s'étaient sauvés dans le grand bois, sans que personne eut tiré dessus et avaient apparemment averti leurs autres compagnons qui avaient pris en même temps la fuite.

    Que c'est Marion et Jacqueline, sa soeur, qui accouche les négresses.

    [...] Qu'ils ont d'autres meubles pour serrer leur bagage que des pagaras [9] ; qu'ils n'ont aussi d'autres outils que quelques limes, vrilles et marteaux point de scie ni de passepartout ni d' erminettes [10].

    Qu'ils avaient audit quartier général deux tambours de nègres dont ils se divertissaient certains jours de fête.

  [...] A Cayenne, ce trente un octobre mil sept cent quarante huit.
(Signé): Le Tenneur Ardibus.

 


Source : FR ANOM COL C14 R 20 F 317, mémoire et enregistrement 1747-1749

 

1.
Case en bois ouverte sur touos les côtés. 
2.
Plaque servant à la cuisson. 
3.
Galette de farine de manioc. 
4.
Kourou. 
5.
mammifère rongeur. 
6.
Pagne. 
7.
Pagne. 
8.
Banane. 
9.
Panier en vannerie. 
10.
Sorte de hache.