Une « bande » de marrons dans la forêt guyanaise au XVIIIe siècle

 

    Il s'agit d'extraits d'une procédure judiciaire : l'interrogatoire mené en 1748, par M. Le Tenneur, juge royal à Cayenne, lieutenant de l 'Amirauté, commis du trésorier général de la Marine, concernant un groupe de marrons de la région de Tonnégrande.

    Vers 1742, dans la région de la rivière Tonnégrande, à environ une vingtaine de kilomètres au sud ouest de Cayenne, se constitue une communauté de marrons. En 1748, la bande s'est accrue avec de nouveaux fugitifs, souvent membres de la même famille, et des raids dans les habitations du quartier de Monsinnéry, puis s'est scindée en deux groupes dirigés par Augustin et André.

    A la recherche de la liberté, excédés de la discipline des ateliers et des mauvais traitements, ou désirant satisfaire les exigences de relation familiale ou affective, les esclaves choisissent de se soustraire, par la fuite, au système esclavagiste régi par le Code Noir, règlement appliqué en Guyane à compter de1702. Les marrons utilisent les possibilités que leur offre l'environnement géographique c'est-à-dire la profondeur et la densité de la forêt guyanaise les « Grands bois » ou l'inaccessibilité de certaines régions. Ils s'éloignent des maîtres, tout en restant dans l'espace littoral colonial peu densément occupé, jamais très loin cependant des habitations, où ils reviennent régulièrement pour se ravitailler et aider d'autres fugitifs.

    Les planteurs retiennent deux types de marronnages :

  • le petit marronnage qui se traduit par une fuite provisoire de l'habitation n'excédant pas un mois ; le retour sur l'habitation se fait soit par arrestation soit par retour volontaire du fugitif.

  • le grand marronnage ou l'évasion préméditée, organisée et qui se veut définitive. (on peut rattacher à ce type l'installation en Guyane, à la fin du XVIIIe siècle, sur le fleuve Maroni, des Bushinenge du Surinam).

    Le grand marronnage soustrayant définitivement l'esclave au pouvoir du maître, remet en cause le système esclavagiste. L'organisation de communautés de marrons autour d'un chef, disposant la plupart du temps, d'armes volées dans les habitations, apparait comme une menace contre la sécurité des habitants (colons), qui ont obligation à déclarer leurs esclaves en fuite. Devant les dangers qu'ils représentent pour la société coloniale, les administrateurs de la colonie organisent la chasse aux marrons, souvent difficile et peu fructueuse. Pour débusquer les marrons, l'administration coloniale et les colons doivent mener de coûteuses expéditions, avec des milices, accompagnés de quelques amérindiens et même de quelques esclaves à qui on promet affranchissement et prime de capture.

    Le gouverneur Gilbert d'Orvilliers met en place la poursuite de cette bande, dirigée par André. Le détachement, formé de soldats, d'habitants, d'indiens amenés de la région de l'Oyapock, de mulâtres et d'esclaves, est dirigé par le lieutenant de Préfontaine. Quelques uns des établissements des marrons, cases, abattis, sont détruits et certains d'entre eux, comme le jeune Louis, capturé. Mais le détachement, repoussé par les marrons de Tonnégrande, est décimé par les maladies, liées à l'abondance de pluies. André et plusieurs marrons se retirent vers la rivière Kourou. André reconstitue sa bande connue, en 1752, sous le nom des « Marrons de la Montagne Plomb ». Installés en amont du Kourou, à proximité d'une rivière navigable et à nouveau pourchassés, ils sont surpris par le détachement du capitaine Mouchard. Les cases et abattis sont incendiés et des prisonniers ramenés à Cayenne.

    Pour combattre le marronnage, qui touche toutes les habitations et toutes les catégories d'esclaves, quelle que soit la période, les autorités proposent quelquefois des mesures de clémence, demandant ainsi à des religieux, comme le Pére Fauque, jésuite, de convaincre les marrons de la Montagne Plomb de revenir sur les habitations mais surtout répriment férocement le grand marronnage. D'après le Code Noir, le premier marronnage est puni du marquage au fer rouge de la fleur de lys et les autres tentatives de différentes mutilations jusqu'à la peine de mort sur la roue ou par pendaison

    Jean dit Copena, qui aidait les esclaves fugitifs à rejoindre André, selon les déclarations de Louis, est accusé pour la deuxième fois du « crime » de marronnage puis supplicié avec sa compagne. André réussit à s'enfuir et sans doute à réorganiser un autre groupe de marrons, dont on n'entendra plus parler.

    L'interrogatoire de Louis permet de voir l'organisation, la vie quotidienne de ce groupe de marrons, très structuré, caractérisé par son importance numérique (plus de 60 personnes) et la durée de sa poursuite, près de 12 ans, de 1742 1754. Ces nouveaux libres, exilés dans la forêt, s'entraident : ils défrichent, plantent, chassent et pêchent pour subvenir à leurs besoins quotidiens. Leur vie reste précaire. Face aux poursuites des chasseurs d'esclaves ils changent fréquemment leur campement.

Jacqueline Zonzon