Edit du roi touchant la police des îles de l'Amérique Françoise, Versailles, mars 1685
1- Qu'est-ce que le «Code Noir » ? 1
« Au sens strict, l'expression « Code Noir » désigne l'Edit de mars 1685 sur la discipline de l'Eglise et celle des esclaves dans les îles de l'Amérique française. Toutefois, cet édit ne concerne (du moins à l'origine) que les colonies de la Martinique, de la Guadeloupe et de Saint-Christophe, et il sera complété par au moins deux autres : celui de 1723, applicable aux îles Bourbon et de France (Réunion et Maurice) ; et celui de 1724, applicable à la Louisiane, textes parfois appelés aussi « Codes Noirs (de 1723 ou 1724) », et dont plusieurs dispositions ont été étendues aux colonies régies par l'Edit de 1685 par les autorités centrales ou coloniales (gouverneurs, intendants et conseils souverains).
L'expression « Code noir » n'est pas une appellation officielle, du moins à l'origine, mais éditoriale, ainsi que l'indiquent les éditions privées de l'Édit de 1685 en particulier et plus généralement de certains recueils des textes régissant les colonies 2 (...)
Ainsi le « Code Noir » acquiert-il un sens beaucoup plus large. Il commence par recouvrir l'ensemble de la législation et de la règlementation relative à l'esclavage, puis finit par englober l'ensemble du droit colonial, Néanmoins, cette extension extrême du sens de l'expression « Code Noir » n'est pas satisfaisante, car les colonies ne se réduisaient pas à l'esclavage. Il semble donc que l'attitude la plus rigoureuse, à la fois historiquement et juridiquement, soit de retenir seulement un sens strict – l'Edit de 1685 – et un sens large - l'ensemble de la législation relative à l'esclavage (et éventuellement au statut des affranchis) – à l'expression « Code Noir » 3 . Par contre, le Code Noir lato sensu doit s'entendre comme englobant également la législation relative à l'esclavage postérieure au rétablissement de 1802, et ce jusqu'à l'Abolition de 1848. L'appellation « Code Noir », stricto et lato sensu, sera d'ailleurs remise en vigueur dès le Consulat. » 4
2- Analyse de l'édit de 1685
L'édit royal de mars 1685 est promulgué par Louis XIV, deux ans après la mort de Jean-Baptiste Colbert qui en avait fait préparer le texte à la suite d'une longue enquête auprès des autorités des îles. A part les interruptions pendant la période révolutionnaire, ce texte conserva sa fonction légale jusqu'à l'abolition de 1848. Il codifiait les règles qui étaient applicables aux esclaves et précisait les devoirs des maîtres pour limiter leurs excès par crainte d'une révolte servile. Cet édit comprenait 60 articles :
- Les sept premiers imposaient l'exercice de la religion catholique dans les colonies en chassant « tous les juifs qui y ont établi leur résidence » (article 1er) et en interdisant « tout exercice public d'autre religion que la religion catholique, apostolique et romaine » (art. 3). Ces interdits concernaient les esclaves qui « seront baptisés et instruits dans la religion catholique ... » (art. 2), mais aussi les protestants (art. 5). 1685 fut aussi l'année de la promulgation de l'édit de Fontainebleau qui abrogeait l'édit de Nantes. L'article 14 enjoignait les maîtres de faire enterrer les esclaves baptisés « en terre sainte, dans les cimetières prévus à cet effet ».
- Les articles 8 à 13 concernaient le mariage des esclaves qui devait se faire avec le consentement du maître (art. 10 et 11) et prévoyaient le sort des enfants : « les enfants qui naîtront des mariages entre esclaves seront esclaves (art. 12) ... et que, si le père est libre et la mère esclave, les enfants soient esclaves pareillement » (art. 13).
- Les articles 15 à 21 énonçaient une série d'interdictions pour les esclaves : «Porter aucunes armes offensives ni de gros bâtons, à peine du fouet ... (art. 15) ... S'attrouper le jour ou la nuit ... à peine de punition corporelle qui ne pourra être moindre que du fouet ... (art. 16) ... Vendre des cannes de sucre ... à peine du fouet ... (art. 18) ... vendre aucune sorte de denrées ... (art. 19) ».
- Les articles 22 à 27 prévoyaient les obligations des maîtres envers leurs esclaves : pour leur nourriture (art. 22, 23 et 24), leurs vêtements (25 et 26), leur entretien en cas d'infirmité « par vieillesse, maladie ou autrement » (art. 27).
- Les articles 28 à 31 organisaient l'incapacité juridique de l'esclave à être propriétaire.
- Les articles 32 à 42 prévoyaient les peines contre les esclaves qui auront frappé leur maître (art. 33), une personne libre (art. 34), volé (art. 35, 36 et 37), pris la fuite (art. 38). L'article 40 prévoyait le dédommagement du maître lorsqu'un de ses esclaves était « puni de mort ». L'article 42 autorisait « les maîtres, lorsqu'ils croiront que leurs esclaves l'auront mérité les faire enchaîner et les faire battre de verges ou cordes, mais leur défendait « de leur donner la torture, ni de leur faire aucune mutilation de membres ».
- Les articles 44 à 54 réglementaient la vente et l'achat, la saisie, la transmission et l'héritage des esclaves considérés être des biens « meubles » (art.44).
- Les articles 55 à 59 organisaient les affranchissements et en prévoyaient les conséquences : Les maîtres âgés de plus de vingt ans pouvaient affranchir leurs esclaves (art. 55). Les esclaves affranchis se voyaient octroyer « les mêmes droits, privilèges et immunités dont jouissent les personnes nées libres » (art. 59), mais devaient « porter un singulier respect à leurs anciens maîtres » (art. 58).
Le « Code Noir » de 1685 est un texte juridique, et non pas philosophique ou encore moins théologique. Il réifie juridiquement l'esclave mais il ne se prononce pas explicitement sur sa non-appartenance à l'espèce humaine.
Au regard du droit canonique, l'esclave était un homme, car il pouvait être baptisé, il pouvait se marier et être enterré en terre sainte comme un chrétien. Au regard du droit laïc, il était responsable pénalement, et, il pouvait être affranchi. Il y avait donc bien officiellement, par toute une série d'aspects, une reconnaissance de la qualité humaine de l'esclave. Mais, l'esclave était aussi « une chose » : l'article 44 le définissait comme un bien meuble. Il pouvait être vendu, acheté, il avait un prix, il pouvait être transmis par héritage, et il ne pouvait pas avoir de patrimoine, n'avait pas la possibilité de faire un procès, ni même d'être cité dans un procès civil ... mais ce « meuble » pouvait être remuant voire peut se révolter ce qui a entraîné toute une jurisprudence de surveillance et de répression. Il était même prévu que lorsqu'un maître dénonçait un de ses esclaves pour crime ou pour fuites répétées, si celui-ci était condamné à mort, le Trésor public rembourserait au maître la valeur de l'esclave supplicié : un arrêt du conseil du roi du 1er mai 1778 fixait un prix « forfaitaire » de remboursement des esclaves suppliciés ou tués lors de leur fuite : 1300 livres pour un homme, 1200 pour une femme. Ces sommes provenaient de la « caisse des nègres justiciés » alimentée par une taxe qui pesait sur l'achat de tout esclave.
Si importante que soit l'étude des textes juridiques pour comprendre l'esclavage, il est essentiel de ne pas prendre la lettre du Code noir pour la réalité des conditions d'existence des esclaves. Dans les « habitations », l'autorité du maître était absolue. Jusqu'aux dernières années, les témoignages prouvent que des maîtres, malgré les interdits, torturaient des esclaves. Le pouvoir royal avait la volonté de limiter les excès de violence des propriétaires et d'affirmer son autorité souveraine sur les libres ou les esclaves, mais l'administration coloniale se trouvait confrontée au problème de l'application de sa législation, car elle ne pouvait donner l'impression à la population servile qu'elle pouvait donner tort aux Blancs. De plus, le contrôle par l'administration était limité par le fait que les procureurs étaient généralement des Blancs créoles défendant les intérêts de leur caste.
Eric MESNARD