Un roi africain de l'estuaire de la Gambie et des Européens

Document 1   

Ce même jour, le roi Barre envoya un de ses enfants faire présent de beurre et de lait à notre commandant.24 1  

Le 24 [juillet], à la pointe du jour, nos deux chaloupes qui étaient en garde du côté de la rivière, de bloc montèrent trois lieues avant dans cette rivière où ils brûlèrent deux petits bâtiments qui étaient au radoub portant l'un, quatre pièces de canons et l'autre, huit. Dans cette occasion, il pensa arriver à nos deux chaloupes une affaire avec les Nègres de cette côte qui est un autre royaume, car pendant qu'ils étaient à visiter les cases des Anglais et qu'ils faisaient embarquer ce qui y était, une sentinelle, qu'on avait mis pour les garantir de toutes surprises, tira sur un Nègre qui, aussitôt, fut se plaindre au roi qui envoya quantité de Nègres armés. Le déserteur anglais, qu'ils avaient mené avec eux sachant parler leur langue, fut au-devant d'eux et leur fit entendre que notre intention n'était pas de leur faire du mal et que l'imprudence du sentinelle serait rigoureusement punie. Ils envoyèrent au roi quelques bouteilles d'eau de vie et la paix fut faite.


Source : Archives nationales, Fonds marine, 4JJ 44, Journal de bord N°1, fol. 34-35 [1695]

 


Document 2

    La rivière de Gambie est une fort grande rivière et fort large sur laquelle on peut naviguer plus de 200 lieues avant les terres, ce qui rend le commerce très considérable car le pays est très peuplé.

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La traite est de morfil , de cire, d'esclaves et de l'or qui vient du haut de la rivière. Les marchandises dont ils ont besoin et qu'ils aiment le mieux sont le fer, la rasade, le cuivre, l'ambre, le cristal, des armes à feu et du sel.


Source : Archives nationales, Fonds marine, 4JJ 44, Journal de bord N°1, fol. 48 [1695]

 

 

Un roi africain de l'estuaire  de la Gambie et des Européens,

à la fin du XVIIe s.

 

 

    Ces quelques courts extraits du journal de bord d'une expédition rochelaise, tenu par le chevalier de Torcy, soulignent l'importance des relations entre souverains africains et Européens.

    Ce voyage nous est connu par le journal de bord de l'expédition. Ce manuscrit de 196 pages fait partie d'une série de journaux de bord conservés aux Archives nationales. Il décrit un voyage de près de deux ans tout au long du littoral atlantique, de l'Afrique à l'Amérique du Sud.

    Le 3 juin 1695, une flotte de six navires quitte ainsi le port de La Rochelle pour un voyage de près de 23 mois. L'escadre se dirige d'abord vers le golfe de Gambie avec un double objectif : montrer la puissance française face aux Anglais et ce faisant initier des échanges commerciaux que l'on espère durables.

    La traite n'est pas uniquement négrière : elle s'inscrit dans un système d'échanges ancien qui permettait aux Européens de se procurer des produits d'Afrique. Pour ce faire, l'appui des souverains africains du littoral est incontournable : il est la clé pour accéder aux richesses de l'intérieur du continent.

    C'est dans ce contexte que se situe la prise du fort Saint-Jacques aux Anglais dans l'estuaire de la Gambie, fleuve permettant l'accès à des ressources convoitées par les Européens tel de l'or, de l'ivoire et des esclaves. Cet accès est contrôlé par le roi africain appelé « le roi Barre ».

    Les sociétés africaines sont en effet politiquement organisées en « royaumes ». Les souverains africains entretiennent des relations diplomatiques entre eux ainsi qu'avec les Européens. Ceux-ci n'ont jamais pu véritablement pénétrer à l'intérieur des terres africaines : «les Africains interdisent l'accès de l'intérieur du continent aux Européens », mais ils ne souhaitent pas nécessairement être en guerre avec eux. Les souverains africains sont donc des intermédiaires obligés pour commercer, et peuvent faire jouer la concurrence entre puissances européennes ou choisir avec qui traiter. Les souverains africains sont aussi des acteurs essentiels dans l'établissement des termes de la traite : types et quantités de marchandises, fixation des prix. Les Européens leur versent des « coutumes », c'est-à-dire des cadeaux avant d'entamer des négociations commerciales.

    La traite n'oppose donc pas de manière binaire Européens et Africains. Les jeux d'alliances sont beaucoup plus complexes : ils se traduisent par des rivalités entre Européens pour s'assurer un partenariat commercial solide avec les puissances africaines du littoral. Des intermédiaires, comme ce Français installé depuis plus de dix ans en Gambie, servent d'interprète pour établir des relations entre souverains africains et Européens, prélude aux opérations de traite.

    Mais le journal souligne aussi que ces relations sont fondées sur la menace et la contrainte : les Français annoncent qu'ils mettraient « leur pays à feu et à sang » si les Africains aidaient d'une quelconque manière les Anglais.

    Après avoir acheté marchandises et esclaves, la flotte se dirige ensuite vers l'Amérique du Sud et les Antilles avant de rentrer au port de La Rochelle en 1697.

On pourra se reporter à :

  • Boubacar BARRY, La Sénégambie du XVe au XIXe s. : traite négrière, islam et conquête coloniale, Paris : L'Harmattan, 1988

  • Jean-Michel DEVEAU, La traite rochelaise, Paris, Karthala, 1990

  • Ibrahima THIOUB, Entretien sur l'esclavage, réalisé par Camille Bauer, (Version intégrale de l'entretien publié dans l'Humanité du 24 juin 2008)]

  • François RENAUT, Serge DAGET, Les traites négrières en Afrique, Paris : Karthala, 1985

                                                                                                                                           Marie Polderman

 

Un roi africain de l'estuaire  de la Gambie et des Européens,

à la fin du XVII° s.

  1. Transcrire les pages 34-35 et 48 du journal de bord concernant les premiers contacts entre les Français et le roi Africain de l'estuaire de la Gambie

  2. Le roi Barre et les Français

  • A quels intermédiaires le roi Barre a-t-il recours dans ses premiers contacts avec les Français ?
  • Quels éléments montrent que le roi Barre a une certaine connaissance des besoins des Européens ?
  • Quelle politique les Français adoptent-ils à l'égard du roi Barre ? Pourquoi ?

 

  1. L'estuaire de la Gambie

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  • Indiquer les lieux mentionnés sur la carte ancienne

  • Quelle est la largeur de l'estuaire de la Gambie ? Quelle est la superficie de l'île ?

  • Que pensez-vous du lieu choisi par le roi Barre pour l'installation de son « pavillon » ? Que pensez-vous du lieu choisi par les Européens pour la construction du fort Saint-Jacques ? Pourquoi dans les deux cas s'agit-il de sites « stratégiques » ?

  • En utilisant Google Earth, il est possible d'avoir accès à une vue satellite ainsi qu'à des photos de l'île Saint-Jacques (Saint-James Island). Que reste-t-il du fort aujourd'hui ?

 

  1. Les produits de traite.
  • Quels sont les produits de traite recherchés par les Européens ?

  • Quels sont ceux qui intéressent les Africains ?

 

                                                                                                                                           Marie POLDERMAN

 

 


Histoire 4e, 2nde lycée professionnel                                                                                                          Histoire

 

 


 

Plan du fort Saint-Jacques, situé en la rivière

de Gambie à la côte de Guinée, pris sur les

Anglais le 27 de juillet 1695

 


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Source : Archives nationales, Fonds marine, 4JJ 44, Journal de bord N°1, fol. 96-97.