Les soins apportés à un marron multirécidiviste en 1791
(Saint-Domingue)

    Il s'agit d'un extrait de la correspondance au départ de Sylvain Séguy de Villevaleix, procureur de l'habitation Butler au Bois-de-Lance et par ailleurs procureur, de 1789 à 1791, des habitations Bréda du Haut-du-Cap et à la Plaine-du-Nord (nord de Saint-Domingue). Ces dernières sucreries étaient devenues, depuis 1786 (année du décès de Pantaléon II de Bréda) propriété de quatre héritiers neveux et nièce de leur oncle Bréda, à savoir le vicomte de Butler, la comtesse de Polastron, le comte du Trousset d'Héricourt et le comte Louis-Pantaléon de Noé envoyait chaque mois à chacun des co-propriétaires une lettre faisant le point sur les travaux en cours et les menus événements concernant les habitations Bréda.

    Ces lettres ont fait l'objet d'une analyse fouillée par DEBIEN (Gabriel), Les débuts de la Révolution à Saint-Domingue vu des habitations Bréda, Études antillaises, XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 1956, repris et complété par DONNADIEU (Jean-Louis), Un grand seigneur et ses esclaves, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2009

    Les lettres de Villevaleix mettent surtout en avant les travaux de transformation de la sucrerie de la Plaine-du-Nord (modification du système d'irrigation pour gagner une pièce – parcelle – de cannes à sucre supplémentaire), ainsi que les tâches répétitives concernant la culture des cannes et la fabrication du sucre. Comme de coutume, ce procureur se met en avant pour tout ce qui concerne le « bien-être » des esclaves (nourriture, état d'esprit...) mais, quand on lit en filigrane, on se doute bien que les habitations Bréda n'ont rien à voir avec le Paradis sur Terre.

Dans l'extrait suivant, au delà de l'approximation sur la « demi-douzaine de sujets » rodant dans les parages, signe de la récurrence du marronnage à Bréda du Haut-du-Cap comme dans bien d'autres habitations, le cas de César, esclave Bambara alors âgé de 32 ans, montre que le marronnage n'est pas sans risque grave pour l'individu. Il ne s'agit pas pour le maître, contrairement à ce que l'on pourrait penser à première lecture – et en faisant référence au Code Noir –, de châtier l'esclave marron multirécidiviste. Il s'agit au contraire pour Villevaleix de tenter de le soigner car, selon le gérant, lors de ses différents marronnages, le malheureux César a dû attraper une maladie sévère, ou s'est gravement intoxiqué par une alimentation quelque peu aléatoire. Villevaleix lui fait donner des rations de lait, mais le remède semble sans effet probant. Le « mauvais sujet » César est entre la vie et la mort, ce qu'il « a cherché » selon le gérant et va probablement trouver. Le constat est cynique : point de compassion, c'est « tant pis pour lui », de même qu'à propos de l'esclave Ursule, dont le gérant se plaint qu'il faut la nourrir sans qu'elle travaille... Le Code noir fait en effet obligation aux maîtres d'entretenir leurs esclaves, valides ou non. Mais surtout pour le maître et le gérant, tout à leur logique comptable, c'est une perte pour l'habitation, alors que le prix des esclaves augmente sur les marchés et que le contexte politique et social devient de plus en plus troublé (à quatre mois de la grande révolte des esclaves).

Jean-Louis DONNADIEU