J.-B Mosneron de l'Aunay, député du commerce, défend la traite
26 Février 1790

 

 

     Jean-Baptiste Mosneron de l'Aunay est issu d'un famille d'armateur nantais qui affrète des bateaux pour le trafic négrier. Comme son frère Alexis, il est député de Nantes aux états-généraux en 1789, puis est nommé député du commerce de Nantes près de l'Assemblée nationale. Son frère Joseph, connu par son Journal publié en 1804 [1],  reste lui pour s'occuper de l'entreprise familiale à Nantes, premier port négier français, qui comptabilise 1 714 expéditions de traite entre 1500 et 1815.

    Comme de nombreux membres de la bourgeoisie des grandes villes portuaires, Jean-Baptiste Mosneron de l'Aunay est en effet favorable à la Révolution et fait partie du club des Jacobins. Mais il défend aussi le maintien de la traite négrière et de l'esclavage dans les colonies et affronte sur ce thème à l'hiver 1790 la Société des Amis des Noirs.

    Celle-ci fait imprimer et distribuer aux députés entre le 5 et le 12 février 1790 une Adresse à l'Assemblée nationale pour l'abolition de la traite des Noirs (elle ne prône pas l'abolition de l'esclavage), ce qui déclenche une campagne du club de Massiac, regroupant les représentants des colons, attachés à la défense de leurs intérêts, de la traite et de l'esclavage. Elle se traduit par des interventions dans des assemblées de district à Paris au mois de février 1790. Le 26 février 1790, Jean-Baptiste Mosneron de l'Aunay affirme que la traite française se fait avec beaucoup de ménagement et vante la douceur des maîtres à l'égard de leurs esclaves, en arguant du fait qu'ils ne peuvent vouloir endommager leur instrument de travail. Propos qui semblent de bon sens mais qui sont loin des réalités coloniales et ne peuvent rendre compte à la fois de la mortalité pendant la traversée de l'Atlantique et du fait que la croissance naturelle des esclaves n'assure pas le renouvellement des générations dans les plantations coloniales.

    Dans ce passage, il insiste tout d'abord sur la nécessité de ne pas briser les liens entre métropole et colons et donc que l'Assemblée nationale les rassure en confirmant la traite. Le risque serait que les colons se révoltent contre la « mère patrie » et que les relations commerciales en soient affectées. Les ennemis étrangers qui pourraient s'en réjouir sont au premier chef les concurrents anglais, et les ennemis intérieurs correspondent à tous ceux qui pourraient vouloir un changement de régime aux colonies.

    Il exclut ensuite toute référence à la Déclaration des Droits de l'homme et du Citoyen pour les colonies, en limitant son universalité à la métropole. Il considère que les esclaves et même les hommes libres de couleur ne peuvent se voir reconnaître des droits de citoyens libres et égaux en droits. Le préjugé de couleur réserve ainsi les droits civils et politiques à la catégorie dominante des blancs. La société coloniale résiste finalement davantage que la société d'Ancien Régime en métropole aux idées révolutionnaires de liberté et d'égalité.

    De telles idées seraient selon lui nocives outre-mer, entraînant la destruction de l'ordre aux colonies, au profit des Anglais.

    Il développe ensuite les conséquences financières et économiques selon lui de l'abolition de la traite : rien moins que la ruine de six millions d'hommes qui vivent des ressources des colonies : il prend en compte à la fois les colons (seulement 30.000 environ à Saint-Domingue à la veille de la Révolution, pour une population d'esclaves d'un demi-million de personnes), mais aussi toutes les personnes qui vivent du commerce colonial, armateurs, artisans, fabricants, commerçants... ce qui montre l'importance des colonies dans l'économie de la France et de l'Europe. Le maintien de la traite est donc présenté comme solidaire de la lutte contre la pauvreté et la mendicité [2].  La puissance maritime française, comparée à celle de l'Angleterre - la plus importante - est aussi en jeu.

    L'argumentation paraît plus paradoxale lorsqu'il en vient à la défense de la Révolution même : il ne s'attache pas aux principes révolutionnaires de respect des droits naturels, mais à la compatibilité entre les intérêts de la bourgeoisie de commerce et l'attachement de celle-ci à la Révolution, qui est perçue comme une occasion de développement de la liberté du commerce. Il exprime ainsi les revendications des députés du commerce dont il fait partie, ainsi que les intérêts des colons de Guyane également.

    C'est en réponse à cette défense du système esclavagiste que Mirabeau prononce son grand discours au club des Jacobins les 1er et 2 mars 1790, y dénonçant la traite des noirs dans des « bières flottantes » et contredisant l'argumentation économique mercantiliste dominante.

On pourra se reporter à :

  • Florence GAUTHIER, L'aristocratie de l'épiderme. Le combat de la Société des Citoyens de Couleur, 1789-1791, Paris : CNRS Editions, 2007

 

M.-A de SUREMAIN

 

 

 

 

 

 

 

1.
Il a été édité par Olivier PETRE-GRENOUILLEAU, Moi, Joseph Mosneron, armateur négrier nantais (1748)-1833). Portrait culturel d'une bourgeoisie négociante au siècle des Lumières, Rennes : Apogée, 1995. Il y raconte comment sur décision de son père, pour l'initier au métier d'armateur, il est embarqué comme pilotin en septembre 1763, à l'âge de 15 ans, sur un navire négrier, Le Prudent. Il y relate sa première expérience de la traite sur les côtes de Guinée et en Martinique, avant son retour à Nantes en décembre 1765. C'est une ressource précieuse pour étudier la traite, du point de vue des Européens, avec les élèves. Pour des exemples d'utilisation pédagogique, voir Eric Mesnard, Aude DESIRE, Enseigner l'histoire des traites négrières et de l'esclavage, CRDP Académié de Créteil, 2007, pp. 57-6. 
2.
Voir à ce sujet Myriam COTTIAS, Arlette FARGE (présenté par), De la nécessité d'adopter l'esclavage en France, 1797, Paris : Bayard, 2007.