L'acte d'émancipation des esclaves à Saint-Domingue, 1793
AU NOM DE LA REPUBLIQUE FRANCAISE.
PROCLAMATION
Nous Léger-Félicité Sonthonax, Commissaire Civil de la République, délégué aux îles Françaises de l'Amérique sous le vent, pour y rétablir l'ordre et la tranquillité publique.
LES HOMMES NAISSENT ET DEMEURENT LIBRES ET EGAUX EN DROITS :
voilà, citoyens, l'évangile de la France ; il est plus que temps qu'il soit proclamé dans tous les départements de la République. [...]
La République Française veut la liberté et l'égalité entre tous les hommes sans distinction de couleur ; les rois ne se plaisent qu'au milieu des esclaves : ce sont eux qui, sur les côtes d'Afrique, vous ont vendus aux Blancs : ce sont les tyrans d'Europe qui voudraient perpétuer cet infâme trafic. La REPUBLIQUE vous adopte au nombre de ses enfants ; les rois n'aspirent qu'à vous couvrir de chaînes ou à vous anéantir.
[...] Ne croyez cependant pas que la liberté dont vous allez jouir, soit un état de paresse d'oisiveté. En France, tout le monde est libre, et tout le monde travaille ; à Saint-Domingue, soumis aux mêmes lois, vous suivrez le même exemple [...]
Dans ces circonstances, le commissaire civil délibérant sur la pétition individuelle, signée en assemblée de commune.
Exerçant les pouvoirs qui lui ont été délégués par l'art. III du décret rendu par la Convention nationale le 5 mars dernier.
A ordonné et ordonne ce qui suit pour être exécuté dans la province du Nord.
ARTICLE PREMIER.
La déclaration des droits de l'homme et du citoyen sera imprimée, publiée et affichée partout où besoin sera, à la diligence des municipalités, dans les villes et bourgs, et des commandants militaires dans les camps et postes.
II. Tous les nègres et sang-mêlés, actuellement dans l'esclavage, sont déclarés libres pour jouir de tous les droit attachés à la qualité de citoyen français ; ils seront cependant assujettis à un régime dont les dispositions sont contenues dans les articles suivants
V. Les domestiques des deux sexes ne pourront être engagés au service de leurs [anciens] maîtres ou maîtresses que pour trois mois, et ce, moyennant le salaire qui sera fixé entr'eux de gré à gré.
IX. Les nègres actuellement attachés aux habitations de leurs anciens maîtres, seront tenus d'y rester ; ils seront employés à la culture de la terre.
X. Les guerriers enrôlés qui servent dans les camps ou dans les garnisons pourront se fixer sur les habitations en s'adonnant à la culture, et obtenant préalablement un congé de leur chef ou un ordre de nous, qui ne pourront leur être délivrés qu'en se faisant remplacer par un homme de bonne volonté.
XI. Les ci-devant esclaves cultivateurs seront engagés pour un an, pendant lequel temps ils ne pourront changer d'habitation que sur une permission des juges paix, dont il sera parlé ci-après, et dans les cas qui seront par nous déterminés.
XII. Les revenus de chaque habitation seront partagés en trois portions égales, déduction faite des impositions, lesquelles sont prélevées sur la totalité. Un tiers demeure affecté à la propriété de la terre, et appartiendra au propriétaire. Il aura la jouissance d'un autre tiers pour les frais de fesance-valoir ; le tiers restant sera partagé entre les cultivateurs [...]
XXVII. La correction du fouet est absolument supprimée ; elle sera remplacée, pour les fautes contre la discipline, par la barre pour un, deux ou trois jours, suivant l'exigence des cas. La plus forte peine sera la perte d'une partie ou de la totalité des salaires ; elle sera prononcée par le juge de paix et ses assesseurs ; la portion de celui ou de ceux qui en seront privés accroîtra au profit de l'atelier.
XXVIII. A l'égard des délits civils, les ci-devant esclaves seront jugés comme les autres citoyens français.
XXXVIII. Les dispositions du Code Noir demeurent provisoirement abrogées. La présente proclamation sera imprimée et affichée partout où besoin sera.
Elle sera proclamée dans les carrefours et places publiques des villes et bourgs de la province du nord, par les officiers municipaux en écharpes, précédés du Bonnet de la Liberté porté au haut d'une pique.
Ordonnons à la commission intermédiaire, aux corps administratifs et judiciaires de la faire transcrire dans leurs registres, publier et afficher.
Ordonnons à tout commandant militaire de prêter main-forte pour son exécution.
Requérons le Gouverneur Général par intérim de tenir la main à l'exécution.
Au Cap, le 29 août 1793, l'an deux de la République Française.
SONTHONAX
Par le Commissaire civil de la République
GAULT, Secrétaire adjoint de la commission Civile
Saint-Domingue
Source : texte juridique