La Convention abolit l'esclavage le 4 février 1794 / 16 pluviôse An II
Les débats entre partisans et opposants à la traite et l'esclavage se sont développés dès le XVIe s., grâce à Las Casas par exemple. Ils ont été amplifiés au XVIIIe s., particulièrement vifs à partir des années 1770, portés par les philosophes des Lumières, comme Diderot ou Condorcet par exemple, des hommes d'église, tel l' abbé Raynal, ou des hommes et femmes de lettres, comme Bernardin de Saint-Pierre ou Olympe de Gouges. Cependant, le rôle des esclaves eux-mêmes dans le processus d'abolition de l'esclavage est tout à fait décisif.
En effet, la nouvelle des événements révolutionnaires est parvenue à Saint-Domingue mais les colons ont refusé d'accorder le moindre droit politique aux affranchis. Le mulâtre Vincent Ogé, qui souhaitait que les droits de l'homme soient appliqués aux libres de couleur, est atrocement supplicié par des colons en février 1791. Les combats entre blancs et mulâtres se développent dans l'Ouest et le Sud de l'île et, le 22 août 1791, les esclaves entrent aussi dans la révolte. Avec les affranchis, ils parviennent à prendre le Nord de l'île. La nouvelle est connue en métropole et, le 4 avril 1792, au nom de l'égalité, l'Assemblée législative attribue les droits politiques aux affranchis. Elle laisse cependant de côté les esclaves. Deux députés, Sonthonax et Polverel, sont envoyés pour faire appliquer cette loi. Ils arrivent à Saint-Domingue en août 1792. Mais l'opposition du gouverneur, des colons et la situation d'oppression des esclaves sont telles, que Sonthonax et Polverel proclament de leur propre chef l'abolition de l'esclavage le 29 août 1793 dans le Nord de l'île, et le 21 septembre suivant dans l'Ouest et le Sud. Cette abolition de l'esclavage à Saint-Domingue a donc précédé celle du 4 février 1794 qui a, elle, une portée nationale.
Sonthonax et Polverel organisent des élections le 23 septembre 1793 et trois des six nouveaux députés de Saint-Domingue parviennent en France à la fin de janvier 1794. Il s'agit de Jean-Baptiste Belley, ancien esclave né en Afrique et déporté à l'âge de deux ans, Jean-Baptiste Mills, mulâtre représentant la partie nord de l'île, et Louis Dufay, un blanc, ce qui symbolise l'égalité des citoyens, quelle que soit la couleur de leur épiderme. Ils arrivent triomphalement à la Convention le 3 février 1794. Grâce à l'intervention de l' abbé Grégoire, celle-ci s'était pour lors contentée de voter l'abolition des primes versés par l'Etat aux navires négriers, le 27 juillet 1793. Le 4 février 1794 ou 16 pluviôse An II, selon le calendrier révolutionnaire en vigueur, les députés étant plus nombreux, la Convention proclame l'abolition de l'esclavage.
Cet acte est d'une radicalité extrême. L'abolition de l'esclavage avait en effet été envisagée par les philosophes des Lumières comme une conséquence à plus ou moins long terme de l'abolition de la traite. Condorcet estimait ainsi qu'il faudrait 75 ans après l'abolition de la traite des esclaves pour que l'esclavage disparaisse.
L'article 18 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de juin 1793, préambule de la constitution, condamnait, si ce n'est explicitement, du moins le principe de la traite et de l'esclavage : « Tout homme peut engager ses services, son temps ; mais il ne peut se vendre, ni être vendu ; sa personne n'est pas une propriété aliénable ». Mais la constitution ne disait rien des colonies.
Par ce décret du 4 février 1794, la Convention abolit désormais l'esclavage sans délai et sans aucune indemnisation des propriétaires d'esclaves (à la différence de la loi de 1848).
En Guadeloupe et en Guyane, sous la pression des révoltes d'esclaves et d'affranchis, l'abolition est effective en juin 1794.
Le retentissement de cette abolition est important dans l'opinion. La Commune de Paris organise une très grande fête le 18 février, au cours de laquelle est chanté l'Hymne des Citoyens de couleur. 1 200 adresses de félicitations émanant de clubs, sociétés populaires ou de municipalités de toute la France furent envoyées à l'Assemblée, de février à juillet 1794.
Les motifs d'une telle abolition sont bien d'ordre philosophique et moral : l'esclavage est aboli au nom de la liberté. Le coût d'une telle mesure, argument employé par les colons et les traitants notamment, est passé au second plan. La maxime « périssent les colonies plutôt qu'un principe », énoncée par Dupont de Nemours, Camille Desmoulins et Robespierre, a donc fini par triompher.
Cependant, les intérêts de puissance ne sont pas absents d'une telle décision : l'intervention du député Danton - « c'est maintenant que l'Anglais est mort » - le souligne. En effet, la propagation dans les Antilles de la nouvelle de l'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises, est perçue comme de nature à susciter le soulèvement des esclaves dans les colonies britanniques. Les intérêts géopolitiques et économiques de la France ne sont donc pas oubliés par les députés qui ont acclamé ce décret.
On pourra se reporter à :
- Marcel DORIGNY (dir.), Les abolitions de l'esclavage, de L.F. Sonthonax à V. Schoelcher, 1793 1794 1848, Paris, Presses Universitaires de Vincennes, Editions de l'UNESCO, 1995
- Florence GAUTHIER, « Périssent les colonies plutôt qu'un principe ! » : contribution à l'histoire de l'abolition de l'esclavage, 1789-1804, Paris, Société des Etudes robespierristes, 2002
M-A de SUREMAIN