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Source : Anne-Louis GIRODET DE ROUSSY-TRIOSON, Jean-Baptiste Belley, député de Saint-Domingue à la Convention, 1797
Huile sur toile, Peinture - Réunion des musées nationaux - Cote cliché : 04-002305 - Château de Versailles et de Trianon

 

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Source : Nicolas André MONSIAU, L'abolition de l'esclavage en France en février 1794
Encre noire, lavis - Paris, musée Carnavalet - Réunion des musées nationaux - Cote cliché : 04-508306

 

Dans ce lavis, N-A Monsiau ne représente pas de manière réaliste la séance au cours de laquelle la Convention abolit l'esclavage le 4 février 1794 / 16 Pluviôse an II, mais en donne une interprétation.

Il place ainsi au premier plan des hommes, des femmes et des enfants libérés de l'esclavage qui expriment avec effusion leur reconnaissance aux députés. La mise en scène et les expressions des personnages insistent sur l'émotion extrême engendrée par ce décret.

 

 

 

 

 

 

La Convention abolit l'esclavage le 4 février 1794 / 16 pluviôse An II

 

  1. Dans quel contexte se déroule cette séance (aussi bien en France métropolitaine qu'aux Antilles) ?

  2. A quel événement le député Delacroix fait-il référence lorsqu'il déclare « inutilement avons-nous décrété que nul droit féodal ne serait perçu dans la République française » ? Que regrette-t-il ?

  3. Que décrète la Convention ? Quels étaient les principaux arguments échangés à l'époque entre partisans et opposants à la traite et à l'esclavage ? En quoi cette mesure va-t-elle plus loin que les revendications et les espoirs des philosophes des Lumières opposés à la traite et à l'esclavage ?

  4. Quels indices soulignent que cette décision a une portée internationale et un intérêt stratégique ?

    En s'appuyant sur l'extrait plus long :

  5. Dans quelle atmosphère se déroule cette séance ?

  6. Quelle est la place réservée aux femmes ?

M-A de SUREMAIN

 


 

2nde lycée général ou professionnel Histoire

 

 

 

 

 

 

 

La Convention abolit l'esclavage le 4 février 1794 / 16 pluviôse An II

 

    Delacroix (d'Eure et Loire). En travaillant à la constitution du peuple français nous n'avons pas porté nos regards sur les malheureux hommes de couleur. La postérité aura un grand reproche à nous faire de ce côté ; mais nous devons réparer ce tort. Inutilement avons-nous décrété que nul droit féodal ne serait perçu dans la République française. Vous venez d'entendre un de nos collègues dire qu'il y a encore des esclaves dans nos colonies. Il est temps de nous élever à la hauteur des principes de la liberté et de l'égalité. On aurait beau dire que nous ne reconnaissons pas d'esclaves en France, n'est-il pas vrai que les hommes de couleur sont esclaves dans nos colonies ? Proclamons la liberté des hommes de couleur. En faisant cet acte de justice, vous donnez un grand exemple aux hommes de couleur esclaves dans les colonies anglaises et espagnoles. Les hommes de couleur ont, comme nous, voulu briser leurs fers ; nous avons brisé les nôtres, nous n'avons voulu nous soumettre au joug d'aucun maître ; accordons-leur le même bien-fait (On applaudit)

    Levasseur. S'il était possible de mettre sous les yeux de la Convention le tableau déchirant des maux de l'esclavage, je la ferais frémir de l'aristocratie exercée dans nos colonies par quelques blancs.

    Delacroix. Président, ne souffre pas que la Convention se déshonore par une plus longue discussion

   [Il propose la rédaction suivante]

    La Convention nationale décrète que l'esclavage est aboli dans toute l'étendue du territoire de la République ; en conséquence, tous les hommes sans distinction de couleur jouiront des droits de citoyens français.

    Quelques membres vouloient que le mot esclavage ne souillât pont un décret de la Convention, d'autant, disoient-ils, que la liberté est un droit de la nature.

    Grégoire insiste. Il faut, dit-il que le mot esclavage y soit inclus ; sans cela l'on prétendroit encore que vous avez voulu dire autre chose ; et vous voulez que tout esclavage disparoisse.

    L'assemblée entière se lève par acclamation.

    Le Président prononce l'abolition de l'esclavage au milieu des applaudissements et des cris mille fois répétés de vive la république ; vive la Convention ; vive la Montagne !

    A peine ce décret est-il prononcé que les trois députés des colonies sont étroitement serrés dans les bras de leurs collègues, qui les félicitent de jouir enfin des droits attachés à leur qualité d'hommes ; ceux-ci se précipitent au bureau, et par les plus vifs applaudissements ils témoignent au président, au nom de tous leurs frères des colonies, la vive reconnoissance dont ils sont pénétrés. Cette scène attendrissante est longtemps prolongée au milieu de l'enthousiasme général, et des cris mille fois répétés de Vive la République ! Vive la Convention ! vive la Montagne !
[...]

    Cambon. Un citoyenne de couleur, qui assiste régulièrement aux séances de la Convention, et qui a partagé tous les mouvements révolutionnaires, vient de ressentir une joie si vive, en voyant la liberté accordée par nous à tous ses frères, qu'elle a entièrement perdu connaissance. (On applaudit) Je demande que ce fait soit consigné au procès-verbal ; que cette citoyenne, admise à la séance, reçoive au moins cette reconnaissance de ses vertus civiques.

    Cette proposition est décrétée.

    On voit sur le premier banc de l'amphithéâtre, à la gauche du président, cette citoyenne qui essuie les larmes que cette scène attendrissante fait couler de ses yeux. (on applaudit).
[...]

    Danton. Nous avions déshonoré notre gloire en tronquant nos travaux. Les grands principes développés par le vertueux Las-Casas avaient été méconnus. Nous travaillons pour les générations futures, lançons la liberté dans les colonies ; c'est aujourd'hui que l'Anglais est mort. (On applaudit). En jetant la liberté dans le nouveau monde, elle y portera des fruits abondants, elle y poussera des racines profondes. En vain Pitt et ses complices voudront par des considérations politiques écarter la jouissance de ce bienfait, ils vont être entraînés dans le néant ; la France va reprendre le rang et l'influence que lui assurent son énergie, son sol et sa population. Nous jouirons nous-mêmes de notre générosité, mais nous ne l'étendrons point au-delà des bornes de la sagesse. Nous abattrons les tyrans, comme nous avons écrasé les hommes perfides qui voulaient faire rétrograder la Révolution. Ne perdons point notre énergie ; lançons nos frégates ; soyons sûrs des bénédictions de l'univers et de la postérité, et décrétons le renvoi des mesures à l'examen des comités. »

M-A de SUREMAIN


Source : Séance du 16 pluviôse An II (4 février 1794), Archives parlementaires

 

 

 

 

 

 

La Convention abolit l'esclavage le 4 février 1794 / 16 pluviôse An II

 

    Les débats entre partisans et opposants à la traite et l'esclavage se sont développés dès le XVIe s., grâce à Las Casas par exemple. Ils ont été amplifiés au XVIIIe s., particulièrement vifs à partir des années 1770, portés par les philosophes des Lumières, comme Diderot ou Condorcet par exemple, des hommes d'église, tel l' abbé Raynal, ou des hommes et femmes de lettres, comme Bernardin de Saint-Pierre ou Olympe de Gouges. Cependant, le rôle des esclaves eux-mêmes dans le processus d'abolition de l'esclavage est tout à fait décisif.

En effet, la nouvelle des événements révolutionnaires est parvenue à Saint-Domingue mais les colons ont refusé d'accorder le moindre droit politique aux affranchis. Le mulâtre Vincent Ogé, qui souhaitait que les droits de l'homme soient appliqués aux libres de couleur, est atrocement supplicié par des colons en février 1791. Les combats entre blancs et mulâtres se développent dans l'Ouest et le Sud de l'île et, le 22 août 1791, les esclaves entrent aussi dans la révolte. Avec les affranchis, ils parviennent à prendre le Nord de l'île. La nouvelle est connue en métropole et, le 4 avril 1792, au nom de l'égalité, l'Assemblée législative attribue les droits politiques aux affranchis. Elle laisse cependant de côté les esclaves. Deux députés, Sonthonax et Polverel, sont envoyés pour faire appliquer cette loi. Ils arrivent à Saint-Domingue en août 1792. Mais l'opposition du gouverneur, des colons et la situation d'oppression des esclaves sont telles, que Sonthonax et Polverel proclament de leur propre chef l'abolition de l'esclavage le 29 août 1793 dans le Nord de l'île, et le 21 septembre suivant dans l'Ouest et le Sud. Cette abolition de l'esclavage à Saint-Domingue a donc précédé celle du 4 février 1794 qui a, elle, une portée nationale.

Sonthonax et Polverel organisent des élections le 23 septembre 1793 et trois des six nouveaux députés de Saint-Domingue parviennent en France à la fin de janvier 1794. Il s'agit de Jean-Baptiste Belley, ancien esclave né en Afrique et déporté à l'âge de deux ans, Jean-Baptiste Mills, mulâtre représentant la partie nord de l'île, et Louis Dufay, un blanc, ce qui symbolise l'égalité des citoyens, quelle que soit la couleur de leur épiderme. Ils arrivent triomphalement à la Convention le 3 février 1794. Grâce à l'intervention de l' abbé Grégoire, celle-ci s'était pour lors contentée de voter l'abolition des primes versés par l'Etat aux navires négriers, le 27 juillet 1793. Le 4 février 1794 ou 16 pluviôse An II, selon le calendrier révolutionnaire en vigueur, les députés étant plus nombreux, la Convention proclame l'abolition de l'esclavage.

Cet acte est d'une radicalité extrême. L'abolition de l'esclavage avait en effet été envisagée par les philosophes des Lumières comme une conséquence à plus ou moins long terme de l'abolition de la traite. Condorcet estimait ainsi qu'il faudrait 75 ans après l'abolition de la traite des esclaves pour que l'esclavage disparaisse.

L'article 18 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de juin 1793, préambule de la constitution, condamnait, si ce n'est explicitement, du moins le principe de la traite et de l'esclavage : « Tout homme peut engager ses services, son temps ; mais il ne peut se vendre, ni être vendu ; sa personne n'est pas une propriété aliénable ». Mais la constitution ne disait rien des colonies.

Par ce décret du 4 février 1794, la Convention abolit désormais l'esclavage sans délai et sans aucune indemnisation des propriétaires d'esclaves (à la différence de la loi de 1848).

En Guadeloupe et en Guyane, sous la pression des révoltes d'esclaves et d'affranchis, l'abolition est effective en juin 1794.

Le retentissement de cette abolition est important dans l'opinion. La Commune de Paris organise une très grande fête le 18 février, au cours de laquelle est chanté l'Hymne des Citoyens de couleur. 1 200 adresses de félicitations émanant de clubs, sociétés populaires ou de municipalités de toute la France furent envoyées à l'Assemblée, de février à juillet 1794.

Les motifs d'une telle abolition sont bien d'ordre philosophique et moral : l'esclavage est aboli au nom de la liberté. Le coût d'une telle mesure, argument employé par les colons et les traitants notamment, est passé au second plan. La maxime « périssent les colonies plutôt qu'un principe », énoncée par Dupont de Nemours, Camille Desmoulins et Robespierre, a donc fini par triompher.

Cependant, les intérêts de puissance ne sont pas absents d'une telle décision : l'intervention du député Danton - « c'est maintenant que l'Anglais est mort » - le souligne. En effet, la propagation dans les Antilles de la nouvelle de l'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises, est perçue comme de nature à susciter le soulèvement des esclaves dans les colonies britanniques. Les intérêts géopolitiques et économiques de la France ne sont donc pas oubliés par les députés qui ont acclamé ce décret.

On pourra se reporter à :

  • Marcel DORIGNY (dir.), Les abolitions de l'esclavage, de L.F. Sonthonax à V. Schoelcher, 1793 1794 1848, Paris, Presses Universitaires de Vincennes, Editions de l'UNESCO, 1995

  • Florence GAUTHIER, « Périssent les colonies plutôt qu'un principe ! » : contribution à l'histoire de l'abolition de l'esclavage, 1789-1804, Paris, Société des Etudes robespierristes, 2002

M-A de SUREMAIN

 

 

 

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