Un capitaine anglais sur la Côte des Esclaves, 1694, d'après l' Histoire
générale des Voyages de l'abbé Prévost
Source : Abbé Antoine-François PREVOST d'EXILES, Histoire générale des voyages, Didot, Paris, 1747, Livre IV, p.430, BNF
Cette carte a été établie pour l' Histoire générale des Voyages par Belin, Ingénieur de la Marine, d'après des récits de voyage. Elle retrace plus ou moins approximativement la situation qui prévalait au début du XVIIIe siècle.
Après l'embouchure de la Volta s'étend la Côte des Esclaves, cordon littoral fermant des lagunes. Le principal centre est Ouidah (ou Juda, Juida, qu'il faut limiter sur la carte à l'immédiat arrière-pays de la rade du même nom – le centre en est Savi, ou Sabi, ici Xavier) Les Européens s'y sont établis, les Français en 1671, les Anglais en 1682, sans compter les Hollandais, les Brandebourgeois et les Portugais. Au-delà des marais, "tous les Européens, qui ont fait le voyage de Juida, conviennent que c'est une des plus délicieuses contrées de l'univers" soutient non sans emphase l' Histoire des voyages (Livre 4, p. 273).
Au nord et à l'est de Juda, se trouve le royaume d'Allada, ou encore Ardres ou Ardra, qui a connu son apogée au XVIIe siècle, avant le développement de Ouidah (le principal centre de traite est Jakin, non loin du Petit Ardra) ; des traitants européens y résident, des ambassades ont été envoyées en Espagne en 1658 et auprès de Louis XIV en 1670 ; des capucins espagnols y ont mené une action missionnaire, dont il reste un catéchisme "en langue ardra".
La région est bouleversée par les conquêtes du roi d' Abomey, plus au Nord, qui s'empare des royaumes du Sud : Allada tombe en 1724, et Savi tombe en 1727. Dès lors, jusqu'au XIXe siècle, le Dahomey contrôle la traite sur cette partie de la côte.
Plus à l'Est commencent les royaumes du Bénin et le lacis de rivières bordées de palétuviers, formant le delta du Niger. Certaines peuvent offrir des abris aux navires, bien que les barres d'entrée soient dangereuses.
Un capitaine anglais sur la Côte des Esclaves, 1694, d'après l' Histoire
générale des Voyages de l'abbé Prévost
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Source : Abbé Antoine-François PREVOST d'EXILES, Histoire générale des voyages, Didot, Paris, 1747, Livre IV, p.361, BNF
L'intérêt de ce plan est de montrer la contiguïté du palais, ensemble spacieux en argile et dont les bâtiments sont couverts de palmes ou de chaume, avec les comptoirs européens, à la fois ouverts sur la place du marché, et faisant corps, pour la plupart, avec l'ensemble du palais. Ouidah dépend étroitement du commerce négrier, et joue au mieux des rivalités européennes. Mais les négriers eux-mêmes s'efforcent de contrôler et d'influencer le pouvoir royal, dont la légitimité est toute relative aux yeux d'une partie de la population, ce qui facilite la conquête du royaume par le roi de Dahomey en 1727.
Un capitaine anglais sur la Côte des Esclaves, 1694, d'après l' Histoire
générale des Voyages de l'abbé Prévost
Complété par la carte et les plans joints, le texte peut être utilisé dans plusieurs directions:
- La description des différentes phases d'une opération de traite sur la côte d'Afrique.
- La présentation du capitaine anglais, agent de la Compagnie royale d'Afrique, commerçant avisé et cynique, mais soucieux de son image vis-à-vis du public européen auquel il a à l'origine destiné son récit.
- La présentation des intermédiaires: le roi d'Ouidah, incontournable, et ses auxiliaires, aussi cupides et retors que leur maître.
- La description de la façon dont les esclaves sont traités par les négriers africains et européens.
Jean-Claude HALPERN
4e, 2nde lycée professionnel Histoire
Un capitaine anglais sur la Côte des Esclaves, 1694, d'après l' « Histoire générale des Voyages » de l'abbé Prévost
Source :Abbé Antoine-François PREVOST d'EXILES, Histoire générale des voyages, Didot, Paris, 1747, Livre IV, p.360, BNF
Les Anglais, comme les Français, ont construit un fort à Ouidah, au milieu des marais. Sur le papier, ces forts ont une allure martiale. Mais en réalité, « il n'y a ici de sûreté pour les Européens, que l'intérêt même des Nègres » (Histoire des voyages, Livre 4, p.359) Le fort anglais est construit en argile, couvert de chaume, entouré de fossés secs (en noir sur le plan). On y accède par un pont-levis. Il s'agit, malgré la présence de quelques soldats blancs, sous l'autorité d'un officier, et de quelques pièces de canon, plus de magasins que d'une installation militaire. Le fort emploie un certain nombre d'esclaves africains. Il est significatif que, dans le texte principal, Phillips parle seulement d'un « comptoir », utile pour entreposer à l'abri des vols les marchandises débarquées des navires, et loger les esclaves achetés avant leur embarquement.
Un capitaine anglais sur la Côte des Esclaves,
1694, d'après l' Histoire générale des Voyages de l'abbé Prévost
Le texte relate des opérations de traite au royaume d'Ouidah en 1694, et présente par là un certain nombre d'informations utiles pour comprendre la nature du commerce des hommes sur la côte d'Afrique. Mais, plusieurs fois publié en Europe dans la première moitié du XVIIIème siècle, sous des formes diverses, il témoigne aussi d'une mise en scène à destination des lecteurs des récits de voyage curieux d'exotisme, mais qui pourraient être heurtés par la brutalité ordinaire des capitaines négriers.
Les récits de voyage sont un genre en plein développement au XVIIIe siècle. La traduction de la collection anglaise d'Astley, A New General Collection of Voyages and Travels , qu'entreprend l'abbé Prévost, sous le titre d'une Histoire générale des Voyages , vise à combler le retard de la France dans ce domaine et paraît à partir de 1746. Prévost reste seul maître de l'ouvrage après l'interruption de la collection britannique, mais l'histoire des voyages en Afrique reste une traduction. Les auteurs de la New General Collection utilisent, pour le texte reproduit ci-dessous, le récit du capitaine anglais Phillips paru en 1732 dans le recueil de Churchill, A New collection of Voyages and travels . De manière générale, au XVIIIe siècle, le récit de voyage, malgré l'austérité des considérations nautiques ou commerciales, apparaît comme un récit d'aventures, utilise volontiers les ressorts du romanesque, satisfait les désirs d'exotisme du public et inspire les auteurs de fiction (Prévost lui-même avait écrit les Aventures de Robert Lade, où des récits authentiques cohabitent avec une Afrique imaginaire).
Dans cet extrait du livre III de l' Histoire des voyages, le capitaine Phillips relate les transactions auxquelles il se livre en 1694 au royaume de Ouidah, sur la Côte des Esclaves .
Selon l'historien Elikia M'Bokolo, Ouidah est "le fleuron des centres négriers" . Les Français s'y sont installés en 1671, suivis des Anglais, des Hollandais, des Brandebourgeois et des Portugais ; l'influence des Européens grandit au point que les rois apparaissent de plus en plus comme les simples protégés des négriers. Cet état de fait suscite une sourde opposition qui rend plus facile la conquête de Juda par le roi de Dahomey en 1727.
Le capitaine Thomas Phillips, qui a surtout navigué jusque là dans les mers du Levant et a été quelque temps prisonnier des Français, commande l' Hannibal, un navire de la Compagnie royale d'Afrique fondée en 1672. Parti de Londres avec 70 hommes d'équipage à la fin d'Octobre 1693 à destination de la côte occidentale de l'Afrique , il doit acquérir 700 esclaves et les transporter à la Barbade. Il navigue en compagnie du navire du capitaine Schurley, grand connaisseur de la côte d'Afrique, mais qui meurt au large d'Accra; il est remplacé par le capitaine Clay, et c'est en compagnie de ce dernier que Phillips débarque dans le royaume de Ouidah, où les Européens se font une concurrence acharnée. Il obtient la plus grande partie de sa cargaison dans cet important centre de traite; celle-ci est composée pour 66% d'hommes, 27% de femmes et pour 7% d'enfants. Le bilan global de son voyage n'est cependant pas aussi avantageux qu'il aurait pu l'espérer. A l'arrivée à la Barbade, après 100 jours de navigation, un peu plus de la moitié des esclaves embarqués, soit 53% seulement, ont survécu, alors que le taux moyen pour la période est de plus de 80%.
Phillips apparaît tout au long de ce récit, destiné à un public curieux des récits de voyage et des aventures au-delà des mers, à la fois comme un commerçant avisé et soucieux des intérêts de la Compagnie royale d'Afrique qui l'emploie, mais aussi un homme honorable dont les scrupules religieux évitent toute rigueur inutile à l'égard des esclaves achetés. Cependant, dans ce milieu exotique où il débarque, il affiche la suffisance à l'égard des populations et de ses partenaires commerciaux, somme toute naturelle à un Européen sur les côtes d'Afrique.
Le tableau du Roi et des agents les montre de leur côté aussi soucieux de leurs intérêts, volontiers retors et cupides. Quant aux esclaves, marchandises humaines, il parle peu de leur comportement et de leurs sentiments sauf au moment de l'embarquement, quand leurs angoisses et leur désespoir risquent d'occasionner des pertes à la Compagnie royale d'Afrique.
Jean-Claude HALPERN