L'acte d'émancipation des esclaves à Saint-Domingue, 1793
L'acte d'émancipation des esclaves
Au nom de la République
Proclamation
« Nous, Leger – Felicité Sonthonax, commissaire civil de la République, délégué aux iles françaises de l'Amérique sous le vent, pour y rétablir l'ordre et la tranquillité ».
Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits : voilà, citoyens, l'évangile de la France ; il est plus que temps qu'il soit proclamé dans tous les départements de la République.
Envoyés par la nation en qualité de commissaire civils à Saint-Domingue, notre mission était d'y faire exécuter la loi du 4 avril, de la faire régner dans toute sa force, et d'y préparer graduellement, sans secousse l'affranchissement général des esclaves.
À notre arrivée, nous trouvâmes un schisme épouvantable entre les blancs qui tous divisés d'intérêts et d'opinion, ne s'accordaient qu'en un seul point : celui de perpétuer à jamais la servitude des nègres et proscrire également tout système de liberté et même d'amélioration de leur sort.
Pour déjouer les malintentionnés et pour rassurer les esprits, tous prévenus par la crainte d'un mouvement subit, nous déclarâmes que nous pensions que l'esclavage était nécessaire à la culture.
Nous disions vrai, citoyens ; l'esclavage alors était essentiel autant à la continuation des travaux qu'à la conservation des colons. Saint-Domingue était encore au pouvoir d'une bande de tyrans féroces qui prêchaient publiquement que la couleur de la peau devait être le signe de la puissance ou de la réprobation ; les juges du malheureux Ogé, les créateurs et les membres de ces infâmes commissions prévôtales qui avaient rempli les villes de gibets et de roues pour sacrifier à leurs prétentions atroces les africains et les hommes de couleur ; tous ces hommes de sang peuplaient encore la colonie. Si, par la plus grande des imprudences, nous eussions, à cette époque, rompu les liens qui enchaînaient les esclaves à leurs maîtres, sans doute que leur premier mouvement eut été de se jeter sur leurs bourreaux, et dans leur trop juste fureur, ils eussent aisément confondu l'innocent avec le coupable ; nos pouvoirs d'ailleurs ne s'entendaient pas jusqu'à prononcer sur le sort des africains et nous eussions été parjures et criminels, si la loi eut été violée par nous.
Aujourd'hui les circonstances sont bien changées ; les négriers et les anthropophages ne sont plus. Les uns ont péri victimes de leur rage impuissante, les autres ont cherché leur salut dans la fuite et l'émigration. Ce qui reste de blancs, est ami de la loi et des principes français.
La majeure partie de la population est formée des hommes du 4 avril. De ces hommes à qui, vous devez votre liberté, qui, les premiers vous ont donné l'exemple du courage à défendre les droits de la nature et de l'humanité ; de ces hommes qui, fiers de leur indépendance, ont préféré la perte de leurs propriétés à la honte de reprendre leurs anciens fers. N'oubliez jamais, citoyens, que vous tenez d'eux les armes qui vous ont conquis votre liberté ; n'oubliez jamais que c'est pour la République française que vous avez combattu, que, de tous les blancs de l'Univers, les seuls qui soient vos amis sont les français d'Europe.
La République française veut la liberté et l'égalité entre tous les hommes sans distinction de couleur ; les rois ne se plaisent qu'au milieu des esclaves : ce sont eux qui, sur les côtes d'Afrique, vous ont vendus aux blancs ; ce sont les tyrans d'Europe qui voudraient perpétuer cet infâme trafic. La République vous adopte au nombre de ses enfants ; les rois n'aspirent qu'à vous couvrir de chaînes ou à vous anéantir.
Ce sont les représentants de cette même République qui, pour venir à votre secours, ont délié les mains des commissaires civils en leur donnant le pouvoir de changer provisoirement la police et la discipline des ateliers.
Cette police et cette discipline vont être changées : un nouvel ordre de choses va renaitre et l'ancienne servitude disparaîtra.
Ne croyez cependant pas que la liberté dont vous allez jouir, soit un état de paresse et d'oisiveté. En France, tout le monde est libre et tout le monde travaille ; à Saint-Domingue, le monde est libre et tout le monde travail ; à Saint-Domingue, soumis aux mêmes lois, vous suivrez le même exemple. Rentrés dans vos ateliers ou chez vos anciens propriétaires, vous recevrez le salaire de vos peines ; vous ne serez plus assujettis à la correction humiliante qu'on vous infligeait autrefois ; vous ne serez plus la propriété d'autrui ; vous resterez les maîtres de la vôtre, et vous vivrez heureux.
Devenus citoyens par la volonté de la nation française, vous devez être aussi les zélés défenseurs de ses décrets ; vous défendrez sans doute, les intérêts de la République contre les rois, moins encore par le sentiment de votre indépendance que par reconnaissance pour les bienfaits dont elle vous a comblés. La liberté vous fait passer du néant à l'existence, montrez-vous dignes d'elle : abjurez à jamais l'indolence comme le brigandage : ayez le courage de vouloir être un peuple et bientôt vous égalerez les nations européennes. Vos calomniateurs et vos tyrans soutiennent que l'Africain devenu libre ne travaillera plus. Démontrez qu'ils ont tort ; redoublez d'''emulation à la vue du prix qui vous attend ; prouvez à la France, par votre activité, qu'en vous associant à ses intérêts, elle a véritablement accru ses ressources et ses moyens.
Et vous, citoyens égarés par d'infâmes royalistes, vous qui, sous les drapeaux et les livrées du lâche Espagnol, combattez aveuglément contre vos propres intérêts, contre la liberté de vos femmes et de vos enfants, ouvrez donc enfin les yeux sur les avantages immenses que vous offre la République. Les rois vous promettent la liberté ; mais voyez vous qu'ils la donnent à leurs sujets ? L'Espagnol affranchit-il ses esclaves ? No, sans doute ; il se promet bien, au contraire, de vous charger de fers sitôt que vos services seront inutiles. N'est-ce pas lui qui a livré Ogé à ses assassins ? Malheureux que vous êtes ! si la France reprenait un roi, vous reviendrez bientôt la proie des émigrés ; ils vous caressent aujourd'hui ; ils deviendraient vos premiers bourreaux.
Dans ces circonstances, le commissaire civil, délibérant sur la pétition individuelle signée en assemblée de commune, exerçant les pouvoirs qui lui ont été délégués par l'article 3 du décret rendu par la Convention nationale le 5 mars dernier :
A ordonné et ordonne ce qui suit, pour être exécuté dans la province du Nord.
Article 1er – La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen sera imprimée, publiée et affichée partout où besoin sera.
2-Tous les nègres et sang mêlés actuellement dans l'esclavage, sont déclarés libres pour jouir de tous les droits attachés à la qualité de citoyens français ; ils seront cependant assujettis à un régime dont les dispositions sont contenues dans les articles suivants....
3-Tous les ci-devant esclaves iront se faire inscrire, eux, leurs femmes et leurs enfants, à la municipalité du lieu de leur domicile, où ils recevront leur billet de citoyen français, signé du Commissaire Civil.
4-La formule de ces billets sera déterminée par nous ; ils seront imprimés et envoyés aux municipalités, à la diligence de l'ordonnateur civil.
5-Les domestiques des deux sexes ne pourront être engagés aux services de leurs maîtres et maîtresses que pour trois mois et ce moyennant un salaire qui sera fixé entre eux de à gré.
6-Les ci-devant esclaves domestiques attachés aux vieillards de 60 ans, aux infirmes, aux nourrissons de 10 ans, ne seront point libres de les quitter. Leur salaire demeure fixé à une portugaise (8 gourdes) par mois pour les nourrisses et 6 portugaises par an pour les autres, sans distinctions de sexe...
7-Les salaires des domestiques seront exigibles tous les trois mois.
8-Ceux des ouvriers, dans quelque genre de que ce soit, seront fixés de gré à gré avec les entrepreneurs qui les emploient
9-Les nègres actuellement attachés aux habitations de leurs anciens maîtres seront tenus d'y rester ; ils seront employés à la culture de la terre.
10-Les guerriers enrôlés qui servent dans les corps ou dans les garnisons pourront se fixer sur les habitations en s'adonnant à la culture, en obtenant préalablement un congé de leur chef ou un ordre de nous, qui ne pourront être délivrés qu'en se faisant remplacer par un homme de bonne volonté.
11-Les ci-devant esclaves cultivateurs seront engagés pour un an pendant lequel temps ils ne pourront changer d'habitations que sur une permission des juges de paix.
12-Les revenus de chaque habitation seront partagés en trois portions égales, déduction faite des impositions, lesquelles seront prélevées sur totalité. Un tiers restera affecté à la propriété de la terre et appartiendra au propriétaire. Il aura la jouissance d'un autre tiers pour les frais de faisance-valoir ; le tiers restant sera partagé entre les cultivateurs de la manière qui va être fixée.
13-Dans les frais de faisance-valoir sont compris tous les frais quelconque d'exploitation, les outils, les animaux nécessaires a la culture et au transport des denrées, les constructions et 1'entretien du bâtiment, les frais de l'hôpital, des chirurgiens et gérants.
14-Dans le tiers du revenu appartenant aux cultivateurs, les commandants qui seront désormais appelés conducteurs de travaux auront trois parts.
15-Les sous-conducteurs recevront deux parts, de même que ceux qui seront employés à la fabrication du sucre et de l'indigo.
16-Les autres cultivateurs a quinze ans et au-dessus auront chacun une part.
17-Les femmes a quinze ans et au-dessus auront deux tiers de parts.
18-Depuis dix ans jusqu'a quinze, les enfants des deux sexes auront une demi-part
19-Les cultivateurs auront en outre leurs places à vivres; elles seront reparties équitablement entre chaque famille eu égard à la qualité de la terre et à la quantité qu'il convient d'accorder.
20-Les mères de famille qui auront un ou plusieurs enfants au-dessous de dix ans auront part entière. Jusqu'à dit âge les enfants resteront à la charge de leurs parents pour la nourriture et l'habillement
21-Depuis l'âge de dix ans à celui de quinze ans, les enfants ne pourront être employés qu'à la garde des animaux, ou à ramasser et trier du café et du coton.
22-Les vieillards et les infirmes seront nourris par leurs parents ; les vêtements et les médicaments seront à la charge du propriétaire.
23-Les denrées seront partagées à chaque livraison entre le propriétaire et le cultivateur en nature ou en argent, au prix du cours, au choix du propriétaire ; en cas de partage en nature, celui-ci sera tenu de faire conduire à l'embarcadère le plus voisin la portion des cultivateurs.
24-Il sera établi dans chaque commune un juge de paix et deux assesseurs dont les fonctions seront de prononcer sur les différends entre les propriétaires et les cultivateurs, et de ces derniers entr'eux, relativement, à la division de leurs portions dans le revenu, ils veilleront à ce que les cultivateurs soient bien soignés dans leurs maladies, à ce que tous travaillent également et ils maintiendront l'ordre dans les ateliers.
25-Les propriétaires fermiers ou gérants seront tenus d'avoir un registre paraphe par la municipalité du lieu, sur lequel sera inscrite la qualité de chaque livraison de denrées et la façon de régler la répartition du tiers revenant au cultivateur : cette répartition sera vérifiée par l'inspecteur de la paroisse et arrêtée par lui définitivement.
Le juge de paix sera tenu d'avoir un double du registre tenu par chaque gérant ou propriétaire, et de les représenter à l'inspecteur général toutes les fois qu'il en sera requis; il en sera de même des propriétaires et gérants à l'égard du juge de paix et de l'inspecteur général.
26-L'inspecteur général de la province du Nord sera charge d'inspecter toutes les habitations, et de prendre auprès des juges de paix tous les renseignements possibles sur la police et la discipline des ateliers et de nous en rendre compte ainsi qu'au gouverneur général et a l'ordonnateur civil; il sera en tournée au moins vingt jours du mois.
27-La correction du fouet est absolument supprimée ; elle sera remplacée pour les fautes contre la discipline, par la barre pour un, deux ou trois jours suivants l'exigence des cas. La plus forte peine sera la perte d'une partie ou la totalité des salaires.
28-À l'égard des délits civils, les ci-devant esclaves seront jugés comme les autres citoyens français.
29-Les cultivateurs ne pourront être contraints de travailler le dimanche...
30-Il sera libre au propriétaire ou gérant d'avoir tel nombre que bon lui semblera de conducteurs ou sous-conducteurs de travaux. Ils seront choisis par lui et pourront être destitués également par lui à la charge d'en rendre compte au juge de paix, assisté de ses assesseurs, prononcera sur la validité de la destitution. Les conducteurs ou sous-conducteurs pourront aussi être destitués par les juges de paix assisté de ses assesseurs sur les plaintes contre eux par les cultivateurs.
31-Les femmes enceintes de sept mois ne travailleront et n'y retourneront que deux mois après leurs couches...
32-Les cultivateurs pourront changer d'habitation pour raison de santé ou d'incompatibilité de caractère reconnue, sur la demande de l'atelier où ils seront employés. Le tout sera soumis à la d''ecision du juge de paix, assisté de ses assesseurs.
33-Dans la quinzaine du jour de la promulgation de la présente proclamation, tous les hommes qui n'ont pas de propriétés, et qui ne seront ni enrôlés, ni attachés à la culture, ni employés au service domestique, et qui seraient trouvés errants, seront arrêtés et mis en prison.
34-Les hommes et les femmes mis en prison dans les cas énoncés seront détendus pendant un mois, pour la première fois ; pendant trois mois, pour la seconde et la troisième fois, condamnés aux travaux publics pendant un an.
35-Les hommes et les femmes mis en prison dans les cas énoncés aux deux articles précédents, seront détenus pendant un mois pour la première fois, pendant trois mois pour la seconde, et pour la troisième condamnés aux travaux publics pendant un an.
36-Les personnes attachées à la culture et les domestiques ne pourront, sous aucun prétexte quitter, sans une permission de la municipalité, la commune où ils résident...
37-Le juge de paix sera tenu de visiter toutes les semaines les habitations de sa dépendance. Le procès-verbal de visite sera envoyé à l'inspecteur général qui en fera passer des expéditions aux commissaires civils, aux commissaires civils, au gouverneur général et à l'ordonnateur civil.
38-Les dispositions du Code noir demeurent provisoirement abrogées...
SONTHONAX
Par le Commissaire civil de la République
GAULT, Secrétaire adjoint de la commission Civile
Marc Désir
L'acte d'émancipation des esclaves à Saint-Domingue, 1793
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Sommaire
Cours Moyen II
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Marc Désir
Cours Moyen II, 1ere Secondaire | Histoire |
L'acte d'émancipation des esclaves à Saint-Domingue, 1793
AU NOM DE LA REPUBLIQUE FRANCAISE.
PROCLAMATION
Nous Léger-Félicité Sonthonax, Commissaire Civil de la République, délégué aux îles Françaises de l'Amérique sous le vent, pour y rétablir l'ordre et la tranquillité publique.
LES HOMMES NAISSENT ET DEMEURENT LIBRES ET EGAUX EN DROITS :
voilà, citoyens, l'évangile de la France ; il est plus que temps qu'il soit proclamé dans tous les départements de la République. [...]
La République Française veut la liberté et l'égalité entre tous les hommes sans distinction de couleur ; les rois ne se plaisent qu'au milieu des esclaves : ce sont eux qui, sur les côtes d'Afrique, vous ont vendus aux Blancs : ce sont les tyrans d'Europe qui voudraient perpétuer cet infâme trafic. La REPUBLIQUE vous adopte au nombre de ses enfants ; les rois n'aspirent qu'à vous couvrir de chaînes ou à vous anéantir.
[...] Ne croyez cependant pas que la liberté dont vous allez jouir, soit un état de paresse d'oisiveté. En France, tout le monde est libre, et tout le monde travaille ; à Saint-Domingue, soumis aux mêmes lois, vous suivrez le même exemple [...]
Dans ces circonstances, le commissaire civil délibérant sur la pétition individuelle, signée en assemblée de commune.
Exerçant les pouvoirs qui lui ont été délégués par l'art. III du décret rendu par la Convention nationale le 5 mars dernier.
A ordonné et ordonne ce qui suit pour être exécuté dans la province du Nord.
ARTICLE PREMIER.
La déclaration des droits de l'homme et du citoyen sera imprimée, publiée et affichée partout où besoin sera, à la diligence des municipalités, dans les villes et bourgs, et des commandants militaires dans les camps et postes.
II. Tous les nègres et sang-mêlés, actuellement dans l'esclavage, sont déclarés libres pour jouir de tous les droit attachés à la qualité de citoyen français ; ils seront cependant assujettis à un régime dont les dispositions sont contenues dans les articles suivants
V. Les domestiques des deux sexes ne pourront être engagés au service de leurs [anciens] maîtres ou maîtresses que pour trois mois, et ce, moyennant le salaire qui sera fixé entr'eux de gré à gré.
IX. Les nègres actuellement attachés aux habitations de leurs anciens maîtres, seront tenus d'y rester ; ils seront employés à la culture de la terre.
X. Les guerriers enrôlés qui servent dans les camps ou dans les garnisons pourront se fixer sur les habitations en s'adonnant à la culture, et obtenant préalablement un congé de leur chef ou un ordre de nous, qui ne pourront leur être délivrés qu'en se faisant remplacer par un homme de bonne volonté.
XI. Les ci-devant esclaves cultivateurs seront engagés pour un an, pendant lequel temps ils ne pourront changer d'habitation que sur une permission des juges paix, dont il sera parlé ci-après, et dans les cas qui seront par nous déterminés.
XII. Les revenus de chaque habitation seront partagés en trois portions égales, déduction faite des impositions, lesquelles sont prélevées sur la totalité. Un tiers demeure affecté à la propriété de la terre, et appartiendra au propriétaire. Il aura la jouissance d'un autre tiers pour les frais de fesance-valoir ; le tiers restant sera partagé entre les cultivateurs [...]
XXVII. La correction du fouet est absolument supprimée ; elle sera remplacée, pour les fautes contre la discipline, par la barre pour un, deux ou trois jours, suivant l'exigence des cas. La plus forte peine sera la perte d'une partie ou de la totalité des salaires ; elle sera prononcée par le juge de paix et ses assesseurs ; la portion de celui ou de ceux qui en seront privés accroîtra au profit de l'atelier.
XXVIII. A l'égard des délits civils, les ci-devant esclaves seront jugés comme les autres citoyens français.
XXXVIII. Les dispositions du Code Noir demeurent provisoirement abrogées. La présente proclamation sera imprimée et affichée partout où besoin sera.
Elle sera proclamée dans les carrefours et places publiques des villes et bourgs de la province du nord, par les officiers municipaux en écharpes, précédés du Bonnet de la Liberté porté au haut d'une pique.
Ordonnons à la commission intermédiaire, aux corps administratifs et judiciaires de la faire transcrire dans leurs registres, publier et afficher.
Ordonnons à tout commandant militaire de prêter main-forte pour son exécution.
Requérons le Gouverneur Général par intérim de tenir la main à l'exécution.
Au Cap, le 29 août 1793, l'an deux de la République Française.
SONTHONAX
Par le Commissaire civil de la République
GAULT, Secrétaire adjoint de la commission Civile
Saint-Domingue
Source : texte juridique
L'acte d'émancipation des esclaves à Saint-Domingue, 1793
Entre 1789 et 1793 Saint-Domingue connaît une période d'agitations politiques et sociales qui mettent en cause les fondements mêmes de la société. Les grands planteurs, hostiles au système de l'exclusif, organisent un mouvement autonomiste. Le 25 mars 1790, ils forment une assemblée coloniale qui, près d'un mois plus tard, se déclare Assemblée générale de la partie française de Saint-Domingue et adopte comme devise « Saint-Domingue, la loi, le roi, notre union fait notre force ». Le 28 mai 1790, elle publie une Constitution qui assure à la colonie une large autonomie et se dote de sa propre armée pour soutenir sa décision. Mais elle se disperse le 8 août 1790 sous les assauts des autorités loyaux. Vers la fin de 1790, les libres de couleur passent à l'action. Ils évoquent le décret du 8 mars 1790 autorisant « toute personne » âgée 25 ans et payant impôt à faire partie de l'Assemblée coloniale. Le 23 octobre 1790 Vincent Ogé débarque au Cap-Français et se met à la tête de 250 hommes de couleur tentant d'obtenir l'exécution de la loi du 8 mars . Au début de novembre 1790, ils sont dispersés, capturés et exécutés le 25 février 1791. Parallèlement, les esclaves se montrent de plus en plus rebelles. En octobre 1790, ils se soulèvent dans le Nord. De janvier à mars 1791 leur mouvement gagne les provinces du Sud et de l'Ouest et se généralise vers la fin du mois d'août.
En septembre la situation de la colonie est chaotique. Pour y rétablir l'ordre la métropole y envoie une première commission civile. Les commissaires débarquent à Saint-Domingue le 21 novembre 1791. Ils entament des pourparlers avec les esclaves insurgés et les hommes de couleur de l'Ouest. Ces deux groupes se disposent à déposer les armes. Mais, l'intransigeance et l'hostilité des colons les poussent à abandonner les négociations et à continuer à alimenter le climat de désordre. Les commissaires n'arrivent pas à établir l'ordre et la paix dans la colonie. Ils échouent et laissent la colonie à feu et à sang début avril 1792. En septembre 1792, la colonie reçoit une nouvelle commission composée de : Ailhaud , Polvérel et Sonthonax . Les commissaires ont des pouvoirs étendus et s'appuient sur une force de 14000 hommes. Ils doivent mettre de l'ordre dans la colonie selon la loi du 4 avril 1792 qui reconnaît l'égalité des droits politiques entre les hommes de couleur et les blancs .
Les trois commissaires arrivent à Saint-Domingue le 18 septembre 1792. Au début d'octobre, ils organisent une expédition contre les esclaves insurgés. Ils remplacent les administrateurs civils et militaires blancs par des hommes de couleur. Ils convoquent les propriétaires sans distinction de couleur en vue de la formation des assemblées provinciales. Ils destituent le gouverneur Blanchelande et son successeur d'Esparbes. En juin 1793, le climat politique interne se complique. En Europe, la France fait face à une grande coalition anglo-espagnole qui se transporte dans les colonies. Anglais et Espagnols disputent la domination de Saint-Domingue. Ils occupent certaines villes avec l'aide des colons mécontents et des esclaves insurgés.
La situation est devenue de plus en plus critique pour les commissaires quand arrivent dans la colonie, le 6 mai 1793, François Galbaud, le nouveau gouverneur. Il est accueilli en sauveur par les colons. Tout de suite, il prend le contre pied des mesures des commissaires. Il s'empare de l'arsenal et marche sur le Palais. Sonthonax est en détresse. Il fait une proclamation aux esclaves dans laquelle il promet la liberté à tous les nègres enrôlés dans l'armée de la République . À son appel les esclaves descendent en masse sur la ville mettant en déroute Galbaud et ses amis. Respectant sa promesse Sonthonax prend des mesures en faveur les esclaves. Le 11 juillet, les enfants nés du mariage d'un libre et d'un esclave est déclaré libre ; 25 juillet, l'affranchissement des noirs armés par les colons ; le 29 août il proclame l'affranchissement général des esclaves. Un mois plus tard, Polvérel l'imite dans le Sud.
Le bilan de cette période de crise est lourd à tous les points de vue. Sur le plan économique, elle est catastrophique : les infrastructures de productions sont saccagées ; les travailleurs abandonnent les ateliers ; les bateaux négriers deviennent de plus en plus rares, on ne peut pas renouveler la main-d'œuvre. Enfin, pour donner le coup de grâce au mode de production servile, l'affranchissement général est proclamé. Dans ces conditions toute reprise économique passe par de nouvelles dispositions non seulement en vue de la formation d'une nouvelle classe d'entrepreneurs mais aussi de travailleurs. Tel est le sens des règlements de culture de Polvérel publiés le 28 février 1794, 24 jours après la ratification du décret d'affranchissement par la métropole.
La mise en œuvre de l'acte d'affranchissement général
Saint-Domingue est une grande pourvoyeuse de matières premières. Les troubles socio-économiques diminuent considérablement la production coloniale. De plus, la métropole est en passe de perdre sa colonie. Pour les commissaires, il s'agit de conserver sauver la colonie et d'assurer la production. L'acte d'affranchissement vise surtout la reprise économique et à organiser la production. Sonthonax distingue deux catégories de cultivateurs. Ceux qui sont restés sur les habitations de leur maitre qui sont tenus d'y demeurer et ceux qui s'étaient engagés dans l'armée qui doivent s'engager sur une habitation pour un an . Les cultivateurs reçoivent une part collective, un quart des revenus de l'habitation. Les domestiques s'engagent pour trois mois. Les libres qui ne sont ni cultivateur ni domestique ni soldat sont passibles d'emprisonnement.
Dans l'Ouest et dans le Sud, sous la direction de Polvérel, le problème se pose avec des nuances. Les habitations abandonnées par les colons deviennent la propriété collective des cultivateurs. Les maîtres qui n'ont pas déserté leurs habitations en gardent la propriété et concèdent la liberté aux esclaves. Et les revenus de l'habitation seront partagés entre eux selon la participation de chacun à la production .
On observe certaines différences dans la démarche des deux commissaires. D'abord, Sonthonax libère l'ensemble des esclaves de la région du Nord. Par contre, Polvérel n'a libéré que les soldats et les cultivateurs. Les autres catégories devaient attendre. Apparemment, les dispositions de Sonthonax sont plus généreuses. Mais en fait, sur le plan socio-économique Polvérel est à cent coudées au-dessus de Sonthonax dans leurs dispositions. Sonthonax favorise une large différence entre les noirs et les blancs. Les nouveaux libres ne peuvent pas devenir propriétaires. Ils sont condamnés à être cultivateurs. Dans la logique de Polvérel, les travailleurs peuvent devenir propriétaires en partageant les terres des colons émigrés. Il ne s'agit pas seulement de donner un lopin de terre aux travailleurs, mais de les regrouper pour une exploitation rationnelle des terres et de la défense de la colonie. On voit à l'horizon une pensée révolutionnaire très en avance sur son temps. C'est déjà une forme de communisme .
Les mesures de Sonthonax traduisent une préoccupation sociale. Elles interdisent les mauvais traitements, soulagent les domestiques et protègent les femmes enceintes, les enfants et les impotents. Elles introduisent les noirs dans une ère de lumière. Les dispositions que propose Polvérel sont encore plus approfondies. Elles envisagent des réparations sociales pour les soldats blessés ou frappés d'incapacité, pour les veuves, pour les enfants, pour les femmes et les vieillards. Elles établissent le système de rente viagère et l'équité entre le cultivateur et le militaire. En dépit de leurs différences, ces deux proclamations ont de profondes influences sur la société de Saint-Domingue.
Les conséquences de l'affranchissement général
L'affranchissement général des esclaves n'apportent pas immédiatement la solution aux problèmes de la colonie. Au contraire, la situation se dégrade. Les colons recourent à la trahison. Ils livrent aux Anglais le Môle Saint-Nicolas et la ville de Jérémie. Certains hommes de couleur suivent les colons. Ils livrent aux Anglais Saint-Marc, Archaïe et Port-au-Prince. Les Espagnols se mêlent de la partie. Ils occupent le Nord et avec l'aide des esclaves insurgés gagnent de plus en plus de terrain. La position française et ses chances de sauver la colonie diminuent. Elle ne conserve que quelques villes comme le Cap, Jacmel et le territoire du Sud s'étirant de Léogane à la Grande Anse. Le pouvoir métropolitain est faiblement soutenu par quelques mulâtres hommes de couleur et noirs.
À la fin de 1793, les commissaires assistent de manière impuissante au déclin de la colonie et à la faillite de leur politique. Comme pour ajouter à leur malheur, une lettre de la Convention les relève de leur fonction. De plus, ils sont invités à rentrer en France pour être entendu sur leurs actions dans la colonie. Toutefois, deux faits les encouragent : la ratification de la proclamation du 29 août par la Convention, le 4 février 1794 et le passage de Toussaint dans le camp Français, le 14 mai 1794. Cet acte permet à la France de conserver sa colonie.
Bibliographie :
- AMBROISE, Jean-Jacques, La révolution de Saint-Domingue (1789- 1804) Société Haïtienne d'Histoire, avril 1990, 395 p.
- DORSINVILLE, Roger, Toussaint Louverture, CIDIHCA, 1987, 269 p.
- LAURENT, M. Gérard, Contribution à l'histoire de Saint-Domingue, Imp. La Phalange, 1971, 233 p.
- LAURENT, M. Gérard, Quand les chaînes volent en éclats, imprimerie Henri Deschamps, P-au-P, 282 p.
- MORAL, Paul, Le paysan haïtien, Fardin 2004, 375 p.
- ORIOL, Michèle, Histoire et dictionnaire de la révolution et de l'indépendance d'Haïti, Fondation pour la recherche iconographique et documentaire, Port-au-Prince, 2002, 367 p.
- SANNON, Pauléus, Histoire de Toussaint Louverture, 3 Tomes, Éditions Fardin, 2004, p.
Marc DÉSIR