L'esclavage comme réalité et l'esclavage comme métaphore politique [1]

Deux textes de Diderot sont présentés ici en écho aux célèbres assertions de Rousseau dans le chapitre sur l'esclavage du Livre I du Contrat Social. Ces textes, qui n'ont pas eu droit à la même postérité prestigieuse que ceux de Rousseau, se montrent pourtant beaucoup plus attentifs à la réalité de l'esclavage dans les colonies, refusant de désigner indistinctement par ce même terme le rapport maître-esclave et le rapport souverain-sujet. L'ouvrage dont ils sont extraits, l' Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des européens dans les deux Indes, fut publié par l'Abbé Raynal en 1772 et connut tout de suite un immense succès (30 rééditions entre 1772 et 1789). Il tomba ensuite dans l'oubli. Il s'agissait d'une entreprise similaire à celle de l'Encyclopédie, mais avec pour objet spécifique la colonisation européenne. L'ensemble est traversé par les différentes tendances des Lumières, alternant les invectives les plus fermes contre la barbarie européenne et des suggestions de réforme des colonies et d'adoucissement de l'esclavage. Raynal lui-même était un personnage ambivalent, homme d'affaire, intéressé à la traite, payé pour certains écrits par le ministère des Affaires étrangères, et dans le même temps membre du salon de d'Holbach, donc de la mouvance la plus radicale des Encyclopédistes. Il n'en reste pas moins que son livre contient, en particulier sous la plume de Diderot, une condamnation sans appel de l'esclavage des Noirs qui contraste avec les généralités, les simples allusions ou même le silence de nombre d'auteurs des Lumières.

Vincent GREGOIRE

 

 

 

 

 

L'esclavage comme réalité et l'esclavage comme métaphore politique [1]

Pistes pédagogiques

 

    • Que désigne le terme d'état dans l'expression « l'esclavage est l'état d'un homme... »

    • Réflexion sur la différence entre état et statut

    • Que signifie l'expression propriété de soi ? Etre propriétaire de soi est-ce la même chose qu'être maître de soi ?

    • Réflexion possible sur le terme latin de dominium qui en droit romain signifie à la fois domination (ou maîtrise) et propriété.

    • En quel sens peut-on qualifier l'esclavage de mort sociale ?

    • Que reste-t-il à l'homme qui a perdu sa liberté ?

Vincent GREGOIRE


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L'esclavage comme réalité et l'esclavage comme métaphore politique [1]
 

    « Renoncer à sa liberté c'est renoncer à sa qualité d'homme, aux droits de l'humanité, même à ses devoirs. »

 


Source : Jean-Jacques ROUSSEAU, Du contrat social, livre I chap. IV, 1762

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    « L'esclavage est l'état d'un homme qui, par la force ou des conventions, a perdu la propriété de sa personne et dont un maître peut disposer comme de sa chose (...).

    La liberté est la propriété de soi. On distingue trois sortes de liberté. La liberté naturelle, la liberté civile, la liberté politique c'est-à-dire la liberté de l'homme, celle du citoyen et celle d'un peuple. La liberté naturelle est le droit que la nature a donné à tout homme de disposer de soi à sa volonté. La liberté civile est le droit que la société doit garantir à chaque citoyen de pouvoir faire tout ce qui n'est pas contraire aux lois. La liberté politique est l'état d'un peuple qui n'a point aliéné sa souveraineté et qui fait ses propres lois, ou est associé, en partie, à sa législation.

    La première de ces libertés est, après la raison, le caractère distinctif de l'homme. On enchaîne et on assujettit la brute parce qu'elle n'a aucune notion du juste et de l'injuste, nulle idée de grandeur et de bassesse. Mais en moi la liberté est le principe de mes vices et de mes vertus. Il n'y a que l'homme libre qui puisse dire je veux ou je ne veux pas et qui puisse par conséquent être digne d'éloge ou de blâme.

    Sans la liberté, ou la propriété de son corps et la jouissance de son esprit, on n'est ni époux, ni père, ni parent, ni ami. On n'a ni patrie, ni concitoyen, ni dieu. Dans la main du méchant, instrument de sa scélératesse, l'esclave est au-dessous du chien que l'Espagnol lâchait contre l'Américain, car la conscience qui manque au chien reste à l'homme. Celui qui abdique lâchement sa liberté se voue au remord et à la plus grande misère qu'un être pensant et sensible puisse éprouver. S'il n'y a sous le ciel, aucune puissance qui puisse changer mon organisation et m'abrutir, il n'y en a aucune qui puisse disposer de ma liberté. »


Source : Denis DIDEROT, in Abbé G. Th. RAYNAL, Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des européens dans les deux Indes, Paris, 1772