L'esclavage ne saurait être fondé sur le consentement de l'esclave mais sur le droit de tuer lié à la punition d'une faute ou à la conquête dans une guerre juste

 

    Ce texte, situé au début d'un ouvrage considéré comme une source majeure du libéralisme politique en Europe, ne porte pourtant pas une condamnation absolue de l'esclavage, mais plutôt de l'idée que celui-ci pourrait être fondé sur le consentement. Locke, de manière assez traditionnelle fonde juridiquement l'esclavage sur le droit de punir, qui peut aller jusqu'au droit de tuer, dont dispose tout homme à l'état de nature à l'égard des criminels, et qui dans l'état civil est transféré à un magistrat. Il le fonde également sur le droit du vainqueur sur le vaincu dans une guerre juste. Dans les deux cas l'esclavage apparaît comme sursis à une légitime peine de mort. Nous voyons ici Locke s'efforcer, au prix d'une contorsion intellectuelle, de maintenir un lien entre esclavage et principes universels du droit. Ce faisant il n'échappe pas à une contradiction radicale : l'esclavage est un lien entre deux hommes qui présuppose le rejet de toute forme de contrat donc de lien social.

Vincent GREGOIRE

 

L'esclavage ne saurait être fondé sur le consentement de l'esclave mais sur le droit de tuer lié à la punition
d'une faute ou à la conquête dans une guerre juste

Pistes pédagogiques

 


Questions

    1. Pourquoi l'esclavage ne peut-il reposer sur une convention ?

    2. Comment Locke parvient-il néanmoins à inscrire l'esclavage dans un cadre juridique ?

    3. L'esclavage « sous la forme parfaite » dont il est ici question n'est-il pas antinomique avec les conditions mêmes d'existence de toute société ?


Piste de réflexion

    Pour Locke, penseur impliqué activement et parfois courageusement dans les luttes politiques de son temps, l'esclavage n'est pas seulement un concept opératoire négatif permettant de penser par contraste ce que peut être un juste gouvernement des hommes. Il correspond à la réalité sociale des colonies, que Locke connaissait bien et approuvait, puisqu'il participa en 1669 à la rédaction des Constitutions fondamentales de la Caroline, définissant cette colonie comme « collectivité autonome de colons et d'esclaves ». Il s'agit donc pour nous, postulant la cohérence du penseur, d'examiner dans quelle mesure la pratique de la traite illustre les cas d'esclavage légitime définis par Locke, ce qui impliquerait que les Africains soient coupables de fautes graves et / ou capturés dans des guerres justes.

 

Vincent GREGOIRE


Terminales générales et technologiques                                                                                                                                  Philosophie

 

 

 

 

 

L'esclavage ne saurait être fondé sur le consentement de l'esclave mais sur le droit de tuer lié à la punition d'une faute ou à la conquête dans une guerre juste


    Cette absence de sujétion vis-à-vis de tout pouvoir absolu, arbitraire, est si nécessaire, si étroitement associée à la conservation de l'individu, que seul peut la lui faire perdre ce qui anéantit à la fois la conservation et la vie. Incapable de disposer de sa propre vie, l'homme ne saurait, ni par voie conventionnelle, ni de son propre consentement se faire l'esclave d'autrui, ni reconnaître à quiconque un pouvoir arbitraire, absolu de lui ôter la vie à discrétion. Nul ne saurait conférer plus de pouvoir qu'il n'en possède lui-même et celui qui ne peut pas détruire sa vie ne peut en rendre un autre maître. Même s'il encourt la peine capitale par sa faute, par quelque action qui mérite la mort, le créancier de sa vie, quand il le tient à sa merci, peut surseoir à la lui prendre et faire usage de sa personne à son propre service ; il ne lui cause aucun tort. En effet l'intéressé qui croit que la peine de l'esclavage outrepasse la valeur de sa vie garde la faculté de résister à la volonté de son maître et, de cette manière, d'attirer sur lui-même la mort qu'il désire.

    Voilà la condition de l'esclavage sous la forme parfaite et ce n'est rien d'autre que la continuation de l'état de guerre entre un conquérant légitime et son captif ; dès qu'un pacte intervient entre eux, s'ils conviennent que l'un exercera un pouvoir limité, auquel l'autre obéira, l'état de guerre et d'esclavage cesse pour toute la durée de ce pacte. On l'a dit, nul ne peut donner à autrui, par le moyen d'une convention, ce qu'il ne possède pas lui-même : c'est-à-dire le pouvoir de disposer de sa propre vie.


 


Source : John LOCKE, Deuxième traité du gouvernement, Chap. IV, § 23, 24, 1689