Affranchissement de la négresse créole Pélagie, 7 avril 1778




    « Par devant le notaire du Cap-Français, Isle et Côte de Saint-Domingue, soussigné, fut présent le sieur Jean-Nicolas Dubois, habitant du Haut-du-Cap, étant ce jour en cette ville, lequel a dit qu'il a présenté requête à MM. Les Général et Intendant de cette colonie à l'effet d'obtenir la permission d'affranchir la nommée Pélagie, négresse, nation créole, âgée d'environ 35 ans, son esclave, que cet acte répond par un permis d'affranchir en date du 25 février dernier, à la charge par ledit sieur comparant de se conformer avant d'en passer acte par devant notaire, au prescrit de l'ordonnance du roi du 10 juillet 1768 et aux règlements des 16 juillet 1773 et 23 octobre 1775 ainsi qu'à l'article 11 du règlement du 22 mai même année, et en outre de payer en mains du sieur Ferrand, Receveur général de la colonie, la somme de 1000 livres pour la taxe de ladite liberté et d'en rapporter quittance.

    Laquelle requête nous a été représentée ainsi que l'ordonnance sus datée ensuite de laquelle sont les certifications de publications faites d'icelle à l'audience du siège royal de cette ville par Godin, audiencier dudit juge, les 7, 14 et 21 mars dernier, le certificat de Hourelatx, greffier commis, du 7 du présent mois, qui constate qu'il ne s'est trouvé aucun opposant aux dites publications, la sentence de lecture d'icelles rendu au siège royal de cette ville ledit jour 21 mars dernier, et les quittances délivrées aujourd'hui par M. Ballet pour M. Ferrand de la somme de 1000 livres pour la taxe de ladite liberté, et de celle de 20 livres pour les 2%.

    En conséquence de quoi et en vertu de ladite permission ledit sieur comparant a par ces présentes déclaré et déclare affranchir de toutes servitudes d'esclavage ladite négresse nommée Pélagie, nation créole, âgée d'environ 35 ans, pour par elle jouir de ladite liberté et franchise comme en jouissent ou doivent en jouir les autres affranchis de cette colonie, et pour satisfaire au règlement qui enjoint aux gens de couleur de prendre un nom tiré de quelque idiome africain, ledit sieur comparant a donné à ladite Pélagie le surnom de Stassin, de tout quoi le dit sieur comparant a requis acte à lui octroyé, dont acte promettant, obligeant, renonçant, fait et passé au Cap en l'étude après y avoir vaqué trois heures, l'an 1778, le 7 avril, et a signé ces présentes pour seconde minute conformément à l'édit du roi du mois de juin de l'année 1776. »

Signatures : Dubois, Mouttes, Grimperel


Source : acte notarié daté du 7 avril 1778, extrait du registre des actes de Me Grimperel, notaire au Cap-Français (Saint-Domingue)
Centre des Archives d'Outre-Mer, Dépôt des Papiers Publics des Colonies, not.Stdom, reg. 854

 

 

 

Affranchissement de la négresse créole Pélagie, 7 avril 1778



Étude de la société coloniale antillaise

    En complément d'autres documents présentant cette société (inventaire d'habitation, ou autres actes d'affranchissement, gravures de vie quotidienne dans une habitation...)

    But : montrer que l'acquisition de la liberté est possible pour un esclave, mais elle est très fortement conditionnée.

    1. Décrire le document (style, forme, vocabulaire, circonstances...).
      Pourquoi un tel formalisme dans la procédure ? (Voir extrait plus long)

    2. Quels sont les acteurs en présence ? Quelles sont les conditions exigées pour un affranchissement, et pourquoi ?

Jean-Louis DONNADIEU




 


2nde  lycée général en module ou en lycée professionnel                                                                                                               Histoire

 

 

 

 

 

 

Affranchissement de la négresse créole Pélagie, 7 avril 1778




    « Par devant le notaire du Cap-Français, Isle et Côte de Saint-Domingue, soussigné, fut présent le sieur Jean-Nicolas Dubois, habitant du Haut-du-Cap, (...) lequel a dit qu'il a présenté requête à MM. Les Général et Intendant de cette colonie à l'effet d'obtenir la permission d'affranchir la nommée Pélagie, négresse, nation créole, âgée d'environ 35 ans, son esclave, que cet acte répond par un permis d'affranchir en date du 25 février dernier, (...) et en outre de payer en mains du sieur Ferrand, Receveur général de la colonie, la somme de 1.000 livres pour la taxe de ladite liberté (...).

    En conséquence de quoi et en vertu de ladite permission ledit sieur comparant a par ces présentes déclaré et déclare affranchir de toutes servitudes d'esclavage ladite négresse nommée Pélagie (...) et pour satisfaire au règlement qui enjoint aux gens de couleur de prendre un nom tiré de quelque idiome africain, ledit sieur comparant a donné à ladite Pélagie le surnom de Stassin. »

 

Signatures : Dubois, Mouttes, Grimperel

 

 

 

 

 


Source : acte notarié daté du 7 avril 1778, extrait du registre des actes de Me Grimperel, notaire au Cap-Français (Saint-Domingue)
Centre des Archives d'Outre-Mer, Dépôt des Papiers Publics des Colonies, not.Stdom, reg. 854

 

 

 

 

 

 

 

Affranchissement de la négresse créole Pélagie, 7 avril 1778

 

    Il s'agit d'un acte officiel, passé devant notaire, avec son formalisme juridique, la lourdeur des formules employées, les références à des règlements qui régissent et encadrent la procédure...
Ce document a été établi en double minute (selon un édit du roi de juin 1776 : il y a obligation d'envoi en métropole d'une copie des actes signés aux colonies, aujourd'hui consultables au Centre des Archives d'Outre-Mer –CAOM- à Aix-en-Provence.

    L'affranchissement s'effectue de par la volonté du maître (le motif d'affranchissement ne figure pas car le Code Noir ne fait pas obligation au maître de le stipuler). Ici : Jean-Nicolas Dubois affranchit-il sa « ménagère », la femme avec qui il vit en concubinage ?

    Ce Dubois est inconnu par ailleurs, il est présenté comme « habitant le Haut-du-Cap » c'est-à-dire le premier bourg à la sortie de la ville du Cap-Français, de l'autre côté du morne (montagne) du Cap. Habitant peut signifier propriétaire d'une habitation mais il ne semble pas que ce soit le cas ici (il n'existe pas d'habitation Dubois dans la zone, à cette époque). On a probablement affaire à un Blanc employé sur une habitation, mais son activité réelle n'est pas indiquée.

    Comme tout esclave, Pélagie n'a qu'un prénom, elle est âgée de 35 ans « environ » (l'approximation vient qu'il n'y a pas d'état civil précis pour les esclaves, dont les naissances ne sont mentionnées –quand elles le sont- que sur les bilans annuels que les gérants dressent pour les propriétaires), elle est née à Saint-Domingue puisque mentionnée comme « créole ». Elle n'a pas de « talent » particulier, pas de spécialisation (lavandière, cuisinière ou autre) selon l'acte.

    L'affranchissement est effectif après paiement d'une taxe dite « de liberté » élevée : 1000 livres (prix d'une esclave « pièce d'Inde », de premier choix, à l'arrivée : 2500 livres en moyenne à l'époque). Ce montant élevé est à caractère dissuasif (éviter qu'il y ait trop d'affranchissements). Qui paie ? Le maître ou l'esclave par ses économies, son « industrie » comme on disait ? L'acte ne le précise pas explicitement.

    Au-delà des formules lourdes, on observe qu'il faut l'accord de l'Intendant et du Gouverneur, autrement dit de l'administration bicéphale de l'île : pour le paiement de ladite taxe, pour enregistrer la personne affranchie comme désormais étant libre de ses mouvements, et donc ne pas la considérer comme esclave en fuite (en « marronnage ») ; l'affranchie a désormais un papier attestant de son affranchissement.

    Depuis un règlement de 1773, passer dans la catégorie des libres revient à avoir désormais un patronyme que le maître donne (Stassin, ici). Autres exemples de patronymes rencontrés dans de tels actes : Mambo, Dahomet, Bréda.

    Une fois affranchis, les esclaves devenus libres ne sont plus à la charge des maîtres mais doivent vivre par eux-mêmes. A cette époque est en train de se constituer une catégorie montante de « libres de couleur » qui concurrencent directement les petits blancs dans les professions d'artisans ou de commerçants, ou s'établissent en maître de terre (Toussaint Bréda a une caféière de treize hectares avec une vingtaine d'esclaves pour la cultiver), sans oublier la possibilité de promotion sociale via le service de milice.

A la veille de la Révolution, il y a à Saint-Domingue environ :

    • 30000 Blancs (libres par définition)

    • 27000 Noirs et Mulâtres libres (« libres de couleur »)

    • 500000 esclaves

    Par ailleurs, les gravures d'époque montrent les Noirs et Mulâtres libres comme bien habillés, ce qui n'est pas pour étonner : cela change totalement de la quasi nudité dans laquelle vivent les esclaves.

Jean-Louis Donnadieu