Soigner le « cheptel humain et le renouveler, 1784





Comte Louis-Pantaléon de Noé (1728-1816)

    Le comte Louis-Pantaléon de Noé (1728-1816), d'origine gasconne, est né à Saint-Domingue (son père, officier de marine, s'y était marié avec Marie-Anne de Bréda, fille d'un propriétaire sucrier). À l'âge de huit ans et demi, le jeune garçon quitte son île natale pour la métropole. Il n'a pas encore douze ans quand, comme tout fils de l'aristocratie, il entame une carrière d'officier dans les armées du roi. Devenu en 1764 seul héritier des biens de sa mère, Louis-Pantaléon de Noé fait un long séjour de six ans (1769-1775) dans son île natale, pour redresser une propriété qui périclitait. Il va s'associer avec son cousin le chevalier d'Héricourt, propriétaire d'une sucrerie mitoyenne, fondant ainsi la grande sucrerie des Manquets (700 ha, dont 300 plantés en cannes à sucre à la veille de la Révolution). Durant ce séjour son chemin va croiser celui de certains « libres de couleur », dont Toussaint Bréda (futur Toussaint Louverture), qu'il a peut-être affranchi (ou, du moins, a contribué à son affranchissement).

    Une fois la situation de son habitation sucrière en bonne voie de redressement, le comte de Noé rentre en métropole, se marie et profite, de 1776 à 1791, de la vie de grand seigneur sur les terres familiales de L'Isle-de-Noé, en Gascogne, dépensant sans compter pour tenir son rang. Mais la Révolution le pousse à émigrer, à Coblence (fin 1791) puis en Angleterre, où sa situation va devenir financièrement de plus en plus délicate. Finalement le comte de Noé se rallie à Bonaparte et revient en France. Mais le temps de la splendeur est définitivement passé. Couverts de dettes, les Noé sont contraints de vendre leur château en 1809. Devenu Pair de France – à titre héréditaire – sous la Restauration, Louis-Pantaléon de Noé meurt à Paris début 1816. En 1818, la famille a la possibilité de racheter le château de L'Isle-de-Noé.

Jean-Louis DONNADIEU

 

 

 

 

 

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Source : DONNADIEU (Jean-Louis), Un grand seigneur et ses esclaves, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2009.

 

 

 

Soigner le « cheptel humain » et le renouveler, 1784




Approche : étude la vie quotidienne dans les sucreries au XVIIIe siècle.

  • Quels problèmes évoque le gérant ?

  • Quelles solutions sont appliquées ou envisagées ?

  • Qu'en déduire sur le regard que porte le gérant sur les esclaves ? Sur les mulets ?

Jean-Louis DONNADIEU


4ème, 2nde, 2nde professionnelle                                                                                                                                            Histoire

 

 

 

 

 

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Source : DONNADIEU (Jean-Louis), Un grand seigneur et ses esclaves, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2009

 

 

 

Soigner le « cheptel humain » et le renouveler, 1784

 

    Il s'agit d'un extrait d'une lettre incomplète, probablement écrite au tout début de 1784, issue de la correspondance au départ qu'envoyait le procureur d'une sucrerie au propriétaire absent car résidant en France ; en l'occurrence celui qui écrit s'appelle Antoine-François Bayon de Libertat, procureur du comte de Noé pour sa grande sucrerie des Manquets, située au quartier de l'Acul-du-Nord (nord de Saint-Domingue, non loin de la ville du Cap-Français). Par ailleurs, Bayon de Libertat détenait la procuration de Pantaléon II de Bréda, oncle du comte de Noé, pour gérer les deux habitations Bréda situées au Haut-du-Cap et dans la Plaine-du-Nord. On sait que Toussaint Louverture est né à Bréda du Haut-du-Cap et la tradition a retenu qu'il était cocher de Bayon de Libertat.

    On sait par ailleurs qu'en 1789 Bayon de Libertat fut renvoyé de son poste de procureur des habitations Bréda pour gestion malhonnête : il avait, entre autres, détourné un quart des esclaves de la sucrerie Bréda à la Plaine-du-Nord, ainsi que des mulets, pour finir d'établir sa propre sucrerie au quartier du Limbé. Les quatre co-propriétaires (dont le comte de Noé) ont fini par s'en apercevoir...

    Quand Bayon de Libertat écrit cette lettre, cela fait un peu plus de quatre ans qu'il a pris la gérance de la grande sucrerie des Manquets. Depuis août 1779 plus précisément, juste après le décès du chevalier d'Héricourt, cousin du comte de Noé, qui était revenu à Saint-Domingue pour administrer directement les Manquets (car ce grand domaine est en fait l'association de deux sucreries, l'une possédée par le comte de Noé, l'autre par le chevalier François du Trousset d'Héricourt). Bayon de Libertat saisit l'opportunité de ce brusque décès pour se présenter comme homme providentiel pouvant efficacement reprendre la gestion des affaires de cette grande sucrerie, ce que le comte de Noé, alors résidant dans son château de L'Isle-de-Noé, en Gascogne (dans l'actuel département du Gers) va entériner. Les deux hommes se connaissent, le comte de Noé ayant effectué un séjour de six ans à Saint-Domingue, de 1769 à 1775, et ayant eu alors maintes fois l'occasion de rencontrer le gérant des sucreries de son oncle Bréda. Au moment de quitter l'île, le comte de Noé fait bénéficier Bayon de Libertat de son abonnement au théâtre du Cap-Français, ce qui illustre en quels termes les deux personnages sont en relations. Tous deux sont, par ailleurs, en rapport d'âge.

    L'extrait de correspondance présenté ne souligne rien de vraiment extraordinaire, mais bien plutôt deux aspects malheureusement courants de la vie quotidienne dans les grandes sucreries, à savoir les maladies contagieuses et la nécessité de procéder de temps à autre à des achats de « mobilier » esclave ou animal pour maintenir l'effectif suffisant à assurer la production agricole. Dans sa brutalité, on voit que le regard porté par le maître est celui de la froide considération du maintien à niveau du « cheptel », qu'il soit humain ou animal.

    Le code noir fait obligation aux maîtres de soigner leurs esclaves, Bayon le souligne et – c'est coutumier chez les gérants en l'absence des maîtres – ne perd pas l'occasion de se mettre en avant. Par souci d'équité, il vante également les mérites du chirurgien rétribué pour ses visites plus ou moins régulières pour venir inspecter et soigner l'atelier servile. De même, pour veiller au bon maintien des animaux (mulets, bovins ou chevaux) des visites de vétérinaires peuvent être demandées par l'administrateur du domaine.

    La grande question qui se pose à ce moment-là (années 1780) est de savoir ce qui est au bout du compte le plus avantageux pour les maîtres : acheter de la main d'œuvre servile directement venue des bateaux (« négriers ») ou plutôt encourager la natalité sur place. En termes purement comptables, un esclave adulte « pièce d'Inde », c'est-à-dire de premier choix, coûte cher (2 000 à 3 000 livres) mais l'individu est, après un nécessaire temps d'adaptation au terrain et au climat, directement productif. Cependant, il s'agit d'un « bossale », d'un Africain qui a en tête l'environnement d'où il a été arraché. Favoriser les naissances revient à « fabriquer » des individus qui n'ont toujours connu que la condition servile et le pays où ils travaillent ( « créole » signifie natif des Amériques), bref des individus davantage conditionnés au système de la plantation antillaise, considérée comme une sorte de « meilleur des mondes » tropical avant l'heure. Mais cela prend du temps pour former un adulte, et coûte en définitive plus cher à l'entretien durant toutes ces années que l'achat direct d'un adulte qui débarque. La correspondance de Bayon de Libertat au comte de Noé nous laisse à penser qu'il serait plutôt partisan d'une politique nataliste ou, à défaut, d'acheter des enfants très jeunes – donc malléables – pour en faire des esclaves adaptés au terrain (moins de risque de perte) et au conditionnement servile (moins de risque de rébellion).

Jean-Louis DONNADIEU

 

 

 

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