Edit du roi touchant la police des îles de l'Amérique Françoise, Versailles, mars 1685

 

    LOUIS, PAR LA GRÂCE DE DIEU roi de France et de Navarre : à tous, présents et à venir, salut. Comme nous devons également nos soins à tous les peuples que la divine providence a mis sous notre obéissance, nous avons bien voulu faire examiner en notre présence les mémoires qui nous ont été envoyés par nos officiers de nos îles de l'Amérique, par lesquels ayant été informés du besoin qu'ils ont de notre autorité et de notre justice pour y maintenir la discipline de l'Église catholique, apostolique et romaine, pour y régler ce qui concerne l'état et la qualité des esclaves dans nos dites îles, et désirant y pourvoir et leur faire connaître qu'encore qu'ils habitent des climats infiniment éloignés de notre séjour ordinaire, nous leur sommes toujours présent, non seulement par l'étendue de notre puissance, mais encore par la promptitude de notre application à les secourir dans leurs nécessités.

    À ces causes, de l'avis de notre Conseil, et de notre certaine science, pleine puissance et autorité royale, nous avons dit, statué et ordonné, disons, statuons et ordonnons, voulons et nous plaît ce qui ensuit.

    Article 1.- Voulons et entendons que l'édit du feu roi de glorieuse mémoire notre très honoré seigneur et père, du 23 avril 1615, soit exécuté dans nos îles. Ce faisant, enjoignons à tous nos officiers de chasser hors de nos îles tous les juifs qui y ont établi leur résidence, auxquels, comme aux ennemis déclarés du nom chrétien, nous commandons d'en sortir dans trois mois, à compter du jour de la publication des présentes, à peine de confiscation de corps et de biens.

    Article 2.- Tous les esclaves qui seront dans nos îles seront baptisés et instruits dans la religion catholique, apostolique et romaine. Enjoignons aux habitants qui achèteront des nègres nouvellement arrivés d'en avertir les gouverneurs et intendants desdites îles dans huitaine au plus tard, à peine d'amende arbitraire; lesquels donneront les ordres nécessaires pour les faire instruire et baptiser dans le temps convenable.

    Article 3.- Interdisons tout exercice public d'autre religion que de la catholique, apostolique et romaine ; voulons que les contrevenants soient punis comme rebelles et désobéissants à nos commandements. Défendons toutes assemblées pour cet effet, lesquelles nous déclarons conventicules, illicites et séditieuses, sujettes à la même peine, qui aura lieu même contre les maîtres qui les permettront ou souffriront à l'égard de leurs esclaves.

    Article 4.- Ne seront préposés aucuns commandeurs à la direction des nègres, qui ne fassent profession de la religion catholique, apostolique et romaine, à peine de confiscation desdits nègres contre les maîtres qui les auront préposés et de punition arbitraire contre les commandeurs qui auront accepté ladite direction.

     Article 5.- Défendons à nos sujets de la religion prétendue réformée d'apporter aucun trouble ni empêchements à nos autres sujets, même à leurs esclaves, dans le libre exercice de la religion catholique, apostolique et romaine, à peine de punition exemplaire.

 

    Article 6.- Enjoignons à tous nos sujets, de quelque qualité et condition qu'ils soient, d'observer les jours de dimanche et fêtes qui sont gardés par nos sujets de la religion catholique, apostolique et romaine. Leur défendons de travailler, ni faire travailler leurs esclaves auxdits jours, depuis l'heure de minuit jusqu'à l'autre minuit, à la culture de la terre, à la manufacture des sucres, et à tous autres ouvrages, à peine d'amende et de punition arbitraire contre les maîtres, et de confiscation tant des sucres que desdits esclaves qui seront surpris par nos officiers dans leur travail.

    Article 7.- Leur défendons pareillement de tenir le marché des nègres et de toutes autres marchandises lesdits jours sur pareille peine de confiscation des marchandises qui se trouveront alors au marché, et d'amende arbitraire contre les marchands.

    Article 8.- Déclarons nos sujets, qui ne sont pas de la religion catholique, apostolique et romaine, incapables de contracter à l'avenir aucuns mariages valables. Déclarons bâtards les enfants qui naîtront de telles conjonctions, que nous voulons être tenues et réputées, tenons et réputons pour vrais concubinages.

     Article 9.- Les hommes libres qui auront eu un ou plusieurs enfants de leurs concubinages avec leurs esclaves, ensemble les maîtres qui les auront soufferts, seront chacun condamné en une amende de deux mille livres de sucre. Et s'ils sont les maîtres de l'esclave de laquelle ils auront eu lesdits enfants, voulons qu'outre l'amende, ils soient privés de l'esclave et des enfants, et qu'elle et eux soient confisqués au profit de l'hôpital, sans jamais pouvoir être affranchis. N'entendons toutefois le présent article avoir lieu, lorsque l'homme libre qui n'était point marié à une autre personne durant son concubinage avec son esclave, épousera dans les formes observées par l'Église sa dite esclave, qui sera affranchie par ce moyen, et les esclaves rendus libres et légitimes.

     Article 10.- Lesdites solennités prescrites par l'ordonnance de Blois et par la déclaration du mois de novembre 1639, pour les mariages, seront observées tant à l'égard des personnes libres que des esclaves, sans néanmoins que le consentement du père et de la mère de l'esclave y soit nécessaire, mais celui du maître seulement.

     Article 11.- Défendons très expressément aux curés de procéder aux mariages des esclaves, s'ils ne font apparoir du consentement de leurs maîtres. Défendons aussi aux maîtres d'user d'aucunes contraintes sur leurs esclaves pour les marier contre leur gré.

     Article 12.- Les enfants qui naîtront de mariages entre esclaves seront esclaves et appartiendront aux maîtres des femmes esclaves, et non à ceux de leur mari, si le mari et la femme ont des maîtres différents.

     Article 13.- Voulons que si le mari esclave a épousé une femme libre, les enfants tant mâles que filles suivent la condition de leur mère et soient libres comme elle nonobstant la servitude de leur père ; et que si le père est libre et la mère esclave, les enfants soient esclaves pareillement.

     Article 14.- Les maîtres seront tenus de faire mettre en terre sainte dans les cimetières destinés à cet effet leurs esclaves baptisés ; et à l'égard de ceux qui mourront sans avoir reçu le baptême, ils seront enterrés la nuit dans quelque champ voisin du lieu où ils seront décédés.

     Article 15.- Défendons aux esclaves de porter aucune arme offensive, ni de gros bâtons, à peine de fouet et de confiscation des armes au profit de celui qui les en trouvera saisis ; à l'exception seulement de ceux qui seront envoyés à la chasse par leurs maîtres, et qui seront porteurs de leurs billets ou marques connues.

     Article 16.- Défendons pareillement aux esclaves appartenant à différents maîtres de s'attrouper le jour ou la nuit, sous prétexte de noces ou autrement, soit chez l'un de leurs maîtres ou ailleurs, et encore moins dans les grands chemins ou lieux écartés, à peine de punition corporelle, qui ne pourra être moindre que du fouet et de la fleur de lis ; et en cas de fréquentes récidives et autres circonstances aggravantes, pourront être punis de mort, ce que nous laissons à l'arbitrage des juges. Enjoignons à tous nos sujets de courir sus aux contrevenants, et de les arrêter et de les conduire en prison, bien qu'ils ne soient officiers et qu'il n'y ait contre eux aucun décret.

    Article 17.- Les maîtres qui seront convaincus d'avoir permis ou toléré telles assemblées composées d'autres esclaves que de ceux qui leur appartiennent, seront condamnés en leurs propres et privés noms de réparer tout le dommage qui aura été fait à leurs voisins à l'occasion desdites assemblées, et en dix écus d'amende pour la première fois, et au double en cas de récidive.

    Article 18.- Défendons aux esclaves de vendre des cannes de sucre pour quelque cause et occasion que ce soit, même avec la permission de leurs maîtres, à peine de fouet contre les esclaves, et de dix livres tournois contre leurs maîtres qui l'auront permis, et de pareille amende contre l'acheteur.

    Article 19.- Leur défendons aussi d'exposer en vente au marché, ni de porter dans les maisons particulières pour vendre aucune sorte de denrées, même des fruits, légumes, bois à brûler, herbes pour la nourriture des bestiaux et leurs manufactures, sans permission expresse de leurs maîtres par un billet ou par des marques connues, à peine de revendication des choses ainsi vendues, sans restitution du prix par leurs maîtres, et de six livres tournois d'amende à leur profit contre les acheteurs.

    Article 20.- Voulons à cet effet que deux personnes soient préposées par nos officiers dans chacun marché pour examiner les denrées et marchandises qui y seront apportées par les esclaves, ensemble les billets et marques de leurs maîtres, dont ils seront porteurs.

    Article 21.- Permettons à tous nos sujets habitants de nos les de se saisir de toutes les choses dont ils trouveront les esclaves chargés lorsqu'ils n'auront point de billets de leurs maîtres, ni de marques connues, pour être rendues incessamment à leurs maîtres, si les habitations sont voisines du lieu où les esclaves auront été surpris en délit ; sinon elles seront incessamment envoyées à l'hôpital pour y être en dépôt jusqu'à ce que les maîtres en aient été avertis.

   Article 22.- Seront tenus les maîtres de faire fournir, par chacune semaine, à leurs esclaves âgés de dix ans et au-dessus pour leur nourriture, deux pots et demi, mesure du pays, de farine de manioc, ou trois cassaves pesant deux livres et demie chacun au moins, ou choses équivalentes, avec deux livres de boeuf salé ou trois livres de poisson ou autres choses à proportion ; et aux enfants, depuis qu'ils sont sevrés jusqu'à l'âge de dix ans, la moitié des vivres ci-dessus.

    Article 23.- Leur défendons de donner aux esclaves de l'eau-de-vie de canne guildent pour tenir lieu de la subsistance mentionnée au précédent article.

     Article 24.- Leur défendons pareillement de se décharger de la nourriture et subsistance de leurs esclaves, en leur permettant de travailler certain jour de la semaine pour leur compte particulier.

    Article 25.- Seront tenus les maîtres de fournir à chacun esclave par chacun an deux habits de toile ou quatre aulnes de toile, au gré desdits maîtres.

 

    Article 26.- Les esclaves qui ne seront point nourris, vêtus et entretenus par leurs maîtres selon que nous l'avons ordonné par ces présentes pourront en donner l'avis à notre procureur général et mettre les mémoires entre ses mains, sur lesquels et même d'office, si les avis lui en viennent d'ailleurs, les maîtres seront poursuivis à sa requête et sans frais, ce que nous voulons être observé pour les crimes et traitements barbares et inhumains des maîtres envers leurs esclaves.


    Article 27.- Les esclaves infirmes par vieillesse, maladie ou autrement, soit que la maladie soit incurable ou non, seront nourris et entretenus par leurs maîtres ; et en cas qu'ils les eussent abandonnés, lesdits esclaves seront adjugés à l'hôpital ; auquel les maîtres seront condamnés de payer six sols par chacun jour pour la nourriture et entretien de chaque esclave.

    Article 28.- Déclarons les esclaves ne pouvoir rien avoir qui ne soit à leur maître ; et tout ce qui leur vient par industrie ou par la libéralité d'autres personnes ou autrement à quelque titre que ce soit, être acquis en pleine propriété à leur maître, sans que les enfants des esclaves, leur père et mère, leurs parents et tous autres libres ou esclaves puissent rien prétendre par succession, disposition entre vifs ou à cause de mort. Lesquelles dispositions nous déclarons nulles, ensemble toutes les promesses et obligations qu'ils auraient faites, comme étant faites par gens incapables de disposer et contracter de leur chef.

    Article 29.- Voulons néanmoins que les maîtres soient tenus de ce que leurs esclaves auront fait par leur commandement, ensemble de ce qu'ils auront géré et négocié dans les boutiques, et pour l'espèce particulière de commerce à laquelle leurs maîtres les auront préposés ; et en cas que leurs maîtres n'aient donné aucun ordre et ne les aient point préposés, ils seront tenus seulement jusqu'à concurrence de ce qui aura tourné à leur profit ; et si rien n'a tourné au profit des maîtres, le pécule desdits esclaves que leurs maîtres leur auront permis d'avoir en sera tenu, après que leurs maîtres en auront déduit par préférence ce qui pourra leur en être dû ; sinon, que le pécule consistât en tout ou partie en marchandises dont les esclaves auraient permission de faire trafic à part, sur lesquelles leurs maîtres viendront seulement par contribution au sol la livre avec leurs autres créateurs.

    Article 30.- Ne pourront les esclaves être pourvus d'offices ni de commissions ayant quelques fonctions publiques, ni être constitués agents par autres que leurs maîtres pour gérer ni administrer aucun négoce, ni être arbitres, experts ou témoins tant en matière civile que criminelle. Et en cas qu'ils soient ouïs en témoignage, leurs dépositions ne serviront que de mémoires pour aider les juges à s'éclaircir ailleurs, sans que l'on en puisse tirer aucune présomption, ni conjecture, ni adminicule de preuve.

    Article 31.- Ne pourront aussi les esclaves être partie ni être en jugement ni en matière civile, tant en demandant qu'en défendant, ni être parties civiles en matière criminelle, sauf à leurs maîtres d'agir et de défendre en matière civile, et de poursuivre en matière criminelle la réparation des outrages et excès qui auront été commis contre leurs esclaves.

    Article 32.- Pourront les esclaves être poursuivis criminellement sans qu'il soit besoin de rendre leur maître partie, sinon en cas de complicité ; et seront lesdits esclaves jugés en première instance par les juges ordinaires et par appel au Conseil souverain sur la même instruction, avec les mêmes formalités que les personnes libres.

    Article 33.- L'esclave qui aura frappé son maître, sa maîtresse ou le mari de sa maîtresse ou leurs enfants avec contusion ou effusion de sang, ou au visage, sera puni de mort.

    Article 34.- Et quant aux excès et voies de fait qui seront commis par les esclaves contre les personnes libres, voulons qu'ils soient sévèrement punis, même de mort s'il y échet.

    Article 35.- Les vols qualifiés, même ceux des chevaux, cavales, mulets, boeufs et vaches qui auront été faits par les esclaves, ou par les affranchis, seront punis de peines afflictives, même de mort si le cas le requiert.

    Article 36.- Les vols de moutons, chèvres, cochons, volailles, cannes de sucre, pois, mil, manioc ou autres légumes faits par les esclaves, seront punis selon la qualité du vol, par les juges, qui pourront s'il y échet les condamner à être battus de verges par l'exécuteur de la haute justice, et marqués d'une fleur de lis.

     Article 37.- Seront tenus les maîtres en cas de vol ou d'autre dommage causé par leurs esclaves, outre la peine corporelle des esclaves, de réparer le tort en leur nom, s'ils n'aiment pas mieux abandonner l'esclave à celui auquel le tort a été fait ; ce qu'ils seront tenus d'opter dans les trois jours, à compter du jour de la condamnation, autrement ils en seront déchus.

     Article 38.- L'esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois à compter du jour que son maître l'aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d'une fleur de lis sur une épaule ; et s'il récidive une autre fois à compter pareillement du jour de la dénonciation, aura le jarret coupé et il sera marqué d'une fleur de lis sur l'autre épaule ; et la troisième fois il sera puni de mort.

    Article 39.- Les affranchis qui auront donné retraite dans leurs maisons aux esclaves fugitifs seront condamnés par corps envers leurs maîtres en l'amende de trois cents livres de sucre par chacun jour de rétention ; et les autres personnes libres qui leur auront donné pareille retraite, en dix livres tournois d'amende pour chaque jour de rétention.

    Article 40.- L'esclave puni de mort sur la dénonciation de son maître, non complice du crime par lequel il aura été condamné, sera estimé avant l'exécution par deux principaux habitants de l'île qui seront nommés d'office par le juge ; et le prix de l'estimation sera payé au maître ; et pour à quoi satisfaire, il sera imposé par l'intendant sur chacune tête des nègres payant droits la somme portée par l'estimation, laquelle sera régalée sur chacun desdits nègres, et levée par le fermier du Domaine royal d'Occident pour éviter à frais.

    Article 41.- Défendons aux juges, à nos procureurs et aux greffiers de prendre aucune taxe dans les procès criminels contre les esclaves, à peine de concussion.

    Article 42.- Pourront seulement les maîtres, lorsqu'ils croiront que leurs esclaves l'auront mérité, les faire enchaîner et les faire battre de verges ou de cordes ; leur défendons de leur donner la torture, ni de leur faire aucune mutilation de membre, à peine de confiscation des esclaves et d'être procédé contre les maîtres extraordinairement.

    Article 43.- Enjoignons à nos officiers de poursuivre criminellement les maîtres ou les commandeurs qui auront tué un esclave sous leur puissance ou sous leur direction, et de punir le meurtre selon l'atrocité des circonstances ; et en cas qu'il y ait lieu de l'absolution, permettons à nos officiers de renvoyer tant les maîtres que les commandeurs absous, sans qu'ils aient besoin d'obtenir de nous des lettres de grâce.

   Article 44.- Déclarons les esclaves être meubles, et comme tels entrer en la communauté, n'avoir point de suite par hypothèque, se partager également entre les cohéritiers sans préciput ni droit d'aînesse, ni être sujets au douaire coutumier, au retrait féodal et lignager, aux droits féodaux et seigneuriaux, aux formalités des décrets, ni aux retranchements des quatre quints, en cas de disposition à cause de mort ou testamentaire.

    Article 45.- N'entendons toutefois priver nos sujets de la faculté de les stipuler propres à leurs personnes et aux leurs de leur côté et ligne, ainsi qu'il se pratique pour les sommes de deniers et autres choses mobiliaires.

     Article 46.- Dans les saisies des esclaves seront observées les formalités prescrites par nos Ordonnances et les coutumes pour les saisies des choses mobiliaires. Voulons que les deniers en provenant soient distribués par ordre des saisies, ou, en cas de déconfiture, au sol la livre, après que les dettes privilégiées auront été payées, et généralement que la condition des esclaves soit réglée en toutes affaires, comme celle des autres choses mobiliaires, aux exceptions suivantes.

    Article 47.- Ne pourront être saisis et vendus séparément le mari de la femme et leurs enfants impubères, s'ils sont tous sous la puissance du même maître ; déclarons nulles les saisies et ventes séparées qui en seront faites, ce que nous voulons avoir lieu dans les aliénations volontaires, sur peine contre ceux qui feraient les aliénations d'être privés de celui ou de ceux qu'ils auront gardés, qui seront adjugés aux acquéreurs, sans qu'ils soient tenus de faire aucun supplément de prix.

    Article 48.- Ne pourront aussi les esclaves travaillant actuellement dans les sucreries, indigoteries et habitations, âgés de quatorze ans et au-dessus jusqu'à soixante ans, être saisis pour dettes, sinon pour ce qui sera dû du prix de leur achat, ou que la sucrerie ou indigoterie, ou habitation dans laquelle ils travaillent, soient saisies réellement ; défendons, à peine de nullité, de procéder par saisie réelle et adjudication par décret sur les sucreries, indigoteries ni habitations, sans y comprendre les esclaves de l'âge susdit et y travaillant actuellement.

    Article 49.- Les fermiers judiciaires des sucreries, indigoteries ou habitations saisies réellement conjointement avec les esclaves seront tenus de payer le prix entier de leur bail : sans qu'ils puissent compter parmi les fruits qu'ils percevront les enfants nés des esclaves pendant le bail.

    Article 50.- Voulons, nonobstant toutes conventions contraires que nous déclarons nulles, que lesdits enfants appartiennent à la partie saisie, si les créanciers sont satisfaits d'ailleurs, ou à l'adjudicataire, s'il intervient un décret ; et à cet effet mention sera faite, dans la dernière affiche avant l'interposition du décret, desdits enfants nés des esclaves depuis la saisie réelle ; que dans la même affiche il sera fait mention des esclaves décédés depuis la saisie réelle dans laquelle ils étaient compris.

    Article 51.- Voulons, pour éviter aux frais et aux longueurs des procédures, que la distribution du prix entier de l'adjudication conjointe des fonds et des esclaves, et de ce qui proviendra du prix des baux judiciaires, soit faite entre les créanciers selon l'ordre de leurs privilèges et hypothèques, sans distinguer ce qui est pour le prix des fonds d'avec ce qui est pour le prix des esclaves.

     Article 52.- Et néanmoins les droits féodaux et seigneuriaux ne seront payés qu'à proportion du prix des fonds.

    Article 53.- Ne seront reçus les lignagiers et les seigneurs féodaux à retirer les fonds décrétés, s'ils ne retirent les esclaves vendus conjointement avec les fonds, ni les adjudicataires à retenir les esclaves sans les fonds.

    Article 54.- Enjoignons aux gardiens nobles et bourgeois, usufruitiers amodiateurs et autres jouissants des fonds auxquels sont attachés des esclaves qui travaillent, de gouverner lesdits esclaves comme bons pères de famille sans qu'ils soient tenus après leur administration de rendre le prix de ceux qui seront décédés ou diminués par maladies, vieillesse ou autrement sans leur faute, et sans qu'ils puissent aussi retenir comme fruits à leurs profits les enfants nés des esclaves durant leur administration ; lesquels nous voulons être conservés et rendus à ceux qui en seront les maîtres et propriétaires.

    Article 55.- Les maîtres âgés de vingt ans pourront affranchir leurs esclaves par tous actes entre vifs ou à cause de mort, sans qu'ils soient tenus de rendre raison de leur affranchissement, ni qu'ils aient besoin d'avis de parents, encore qu'ils soient mineurs de vingt-cinq ans.

    Article 56.- Les esclaves qui auront été faits légataires universels par leurs maîtres, ou nommés exécuteurs de leurs testaments, ou tuteurs de leurs enfants, seront tenus et réputés, les tenons et réputons pour affranchis.

    Article 57.- Déclarons leurs affranchissements faits dans nos îles leur tenir lieu de naissance dans nos îles, et les esclaves affranchis n'avoir besoin de nos lettres de naturalité pour jouir des avantages de nos sujets naturels dans notre royaume, terres et pays de notre obéissance, encore qu'ils soient nés dans les pays étrangers.

    Article 58.- Commandons aux affranchis de porter un respect singulier à leurs anciens maîtres, à leurs veuves et à leurs enfants ; en sorte que l'injure qu'ils leur auront faite soit punie plus grièvement que si elle était faite à une autre personne. Les déclarons toutefois francs et quittes envers eux de toutes autres charges, services et droits utiles que leurs anciens maîtres voudraient prétendre, tant sur les personnes que sur leurs biens et successions en qualité de patrons.

    Article 59.- Octroyons aux affranchis les mêmes droits, privilèges et immunités dont jouissent les personnes nées libres ; voulons que le mérite d'une liberté acquise produise en eux, tant pour leurs personnes que pour leurs biens, les mêmes effets que le bonheur de la liberté naturelle cause à nos autres sujets.

    Article 60.- Déclarons les confiscations et les amendes, qui n'ont point de destination particulière par ces présentes, nous appartenir, pour être payées à ceux qui se sont préposés à la recette de nos revenus. Voulons néanmoins que distraction soit faite du tiers desdites confiscations et amendes au profit de l'hôpital établi dans l'île où elles auront été adjugées.

    Si donnons en mandement à nos amés et féaux les Gens tenant notre Conseil souverain établi à la Martinique, Guadeloupe, Saint-Christophe, que ces présentes ils aient à faire lire, publier et enregistrer, et le contenu en elles garder et observer de point en point selon leur forme et teneur, sans contrevenir ni permettre qu'il y soit contrevenu en quelque sorte et manière que ce soit, nonobstant tous édits, déclarations, arrêts et usages, auxquels nous avons dérogé et dérogeons par cesdites présentes. Car tel est notre bon plaisir ; et afin que ce soit chose ferme et stable à toujours, nous y avons fait mettre notre scel. Donné à Versailles au mois de mars mil six cent quatre-vingt-cinq, et de notre règne le quarante deuxième.

    Signé Louis. Et plus bas, par le Roi, Colbert. Visa, Le Tellier. Et scellé du grand sceau de cire verte, en lacs de soie verte et rouge.






 


Source : Le Code Noir ou edit du roy servant de règlement pour le Gouvernement & l'Administration de [sic Justice & la Police des Isles Francoises de l'Amérique, & pour la Discipline & le Commerce des Nègres & Esclaves dans ledit pays, Donné à Versailles au mois de Mars 1685. Avec l'edit du mois d'août 1685 portant établissement d'un Conseil Souverain & de quatre Sieges Royaux dans la Coste de l'Isle de S. Domingue,A Paris, chez la Veuve Saugrain, 1718.]

 

 

 

 

 

 Edit du roi touchant la police des îles de l'Amérique Françoise, Versailles, mars 1685




    Les premières questions visent à identifier le document en insistant sur la nature juridique du texte puisqu'il s'agit d'un édit royal préparé par les services de Jean-Baptiste Colbert (1619-1683), puis de son fils le marquis de Seignelay (1651-1690) qui lui succéda au Secrétariat d'Etat à la Marine qui avait en charge la politique coloniale. Ensuite, le professeur s'assurera que les élèves ont compris que, dans un souci d'ordre public marqué par poids de la religion, l'administration royale était chargée de veiller à ce que les maîtres fournissent aux esclaves le minimum nécessaire à leur survie. Mais, cette administration avait surtout la responsabilité de réprimer toute manifestation de résistance de la part des esclaves.

  • Qu'est-ce qu'un édit ?

  • Qui a signé ce texte ?

  • Quand et où ce texte a-t-il été signé ?

  • Qui règne alors ?

  • Quelles étaient les îles concernées par cet édit ? A l'aide d'un atlas, cite d'autres îles des Antilles.

  • Quelle était, alors, la seule religion autorisée dans ces colonies (cf. article 3)?

  • Qu'interdisaient aux esclaves les articles 15 et 16 ? Que craignait l'administration royale ?

  • A quoi les articles 22 et 25 obligeaient-ils les propriétaires d'esclaves ?

  • Que risquaient-ils, selon l'article 26, s'ils ne respectaient pas les articles 22 et 25 ?

  • Quels sont les articles cités qui prévoient des punitions contre les esclaves ?

  • Quelles sont les peines prévues contre les esclaves ?

  • Que prévoit l'article 55 ?

 

 Eric MESNARD


Cycle , 3,4° lycée
  Histoire

 

 

 

 

Edit du roi touchant la police des îles de l'Amérique Françoise, Versailles, mars 1685

 

Extraits de l'édit de Louis XIV touchant la police des îles de l' Amérique Françoise :

Louis, par la grâce de Dieu, roi de France et de Navarre : à tous, présents et à venir, salut.(...) Nous avons bien voulu faire examiner en notre présence les mémoires qui nous ont été envoyés par nos officiers de nos îles de l'Amérique (...) pour y maintenir la discipline de l'Eglise catholique, apostolique et romaine, pour y régler ce qui concerne l'état et la qualité des esclaves dans nos dites îles (...)

Article 1. (...) enjoignons à tous nos officiers de chasser, de nos dites îles, tous les juifs qui y ont établi leur résidence (...)

Art. 2. Tous les esclaves, qui seront dans nos îles, seront baptisés et instruits dans la religion C. A. et R  (...)

Art. 3. Interdisons tout exercice public, d'autre religion que celui de la religion C. A. et R (...)

Art. 6. Enjoignons à tous nos sujets (...) d'observer les jours de dimanche et fêtes (...) leur défendons de travailler, ni de faire travailler leurs esclaves aux dits jours (...)

Art. 12. Les enfants, qui naîtront des mariages entre les esclaves, seront esclaves, et appartiendront aux maîtres des femmes esclaves (...)

Art. 15. Défendons aux esclaves de porter aucune arme offensive, ni de gros bâtons, à peine de fouet (...)

Art. 16. Défendons pareillement aux esclaves appartenant à différents maîtres, de s'attrouper le jour ou la nuit, sous prétexte de noces ou autrement, soit chez l'un de leurs maîtres, ou ailleurs (...) à peine de punitions corporelles (...)

Art. 18. Défendons aux esclaves de vendre des cannes à sucre, pour quelque cause, et occasion que ce soit (...) à peine du fouet contre les esclaves (...)

Art. 22. Seront tenus les maîtres, de faire fournir, par chacune semaine, à leurs esclaves âgés de dix ans, et au dessus, pour leur nourriture, deux pots et demi (...) de farine de manioc, ou trois cassaves pesant chacune deux livres et demie, au moins (...)

Art. 23. Leur défendons de donner aux esclaves de l'eau de vie de cannes, ou guildive , pour tenir lieu de la substance mentionnée en l'article précédent.

Art. 24. Leur défendons pareillement de se décharger de la nourriture et subsistance de leurs esclaves, en leur permettant de travailler certains jours de la semaine, pour leur compte particulier.

Art. 25. Seront tenus les maîtres de fournir, à chaque esclave, par chacun an, deux habits de toile, ou quatre aunes   de toile, au gré desdits maîtres.

Art. 26. Les esclaves qui ne seront point nourris, vêtus et entretenus par les maîtres selon que nous l'avons ordonné par ces présentes pourront en donner l'avis à notre procureur (...) les maîtres seront poursuivis à sa requête et sans frais, ce que nous voulons être observé pour les crimes et traitements barbares et inhumains des maîtres envers leurs esclaves.

Art. 27. Les esclaves infirmes par vieillesse, maladie ou autrement, soit que la maladie soit incurable, ou non, seront nourris et entretenus par leurs maîtres (...)

Art. 28. Déclarons les esclaves ne pouvoir rien avoir qui ne soit à leurs maîtres (...)

Art. 33. L'esclave qui aura frappé son maître, ou la femme de son maître, sa maîtresse, ou le mari de sa maîtresse, ou leurs enfants, avec contusion, ou effusion de sang, sera puni de mort.

Art. 35. Les vols qualifiés, même ceux de chevaux, cavales, mulets, bœufs ou vaches, qui auront été faits par les esclaves ou par les affranchis, seront punis de peines afflictives, même de mort si le cas le requiert.

Art. 38. L'esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, à compter du jour que son maître l'aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées, et sera marqué d'une fleur de lys sur une épaule; s'il récidive, un autre mois, à compter pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé, et il sera marqué d'une fleur de lys, sur l'autre épaule; et la troisième fois, il sera puni de mort.

Art. 42. Pourront seulement les maîtres, lorsqu'ils croiront que leurs esclaves l'auront mérité, les faire enchaîner, et leurs faire battre de verges ou cordes (...)

Art. 55. Les maîtres, âgés de vingt ans, pourront affranchir leurs esclaves (...)

Art. 58. Commandons, aux affranchis, de porter un respect régulier à leurs anciens maîtres, à leurs veuves, et à leurs enfants (...)

Donné à Versailles au mois de mars mil six cent quatre-vingt-cinq, et de notre règne le quarante deuxième.

Signé Louis. Et plus bas, Colbert .  Le Tellier




 


Source : Le Code Noir ou edit du roy servant de règlement pour le Gouvernement & l'Administration de [sic Justice & la Police des Isles Francoises de l'Amérique, & pour la Discipline & le Commerce des Nègres & Esclaves dans ledit pays, Donné à Versailles au mois de Mars 1685. Avec l'edit du mois d'août 1685 portant établissement d'un Conseil Souverain & de quatre Sieges Royaux dans la Coste de l'Isle de S. Domingue, A Paris, chez la Veuve Saugrain, 1718.]

 

 

 

 

Edit du roi touchant la police des îles de l'Amérique Françoise, Versailles, mars 1685


1- Qu'est-ce que le «Code Noir » ? 1

    « Au sens strict, l'expression « Code Noir » désigne l'Edit de mars 1685 sur la discipline de l'Eglise et celle des esclaves dans les îles de l'Amérique française. Toutefois, cet édit ne concerne (du moins à l'origine) que les colonies de la Martinique, de la Guadeloupe et de Saint-Christophe, et il sera complété par au moins deux autres : celui de 1723, applicable aux îles Bourbon et de France (Réunion et Maurice) ; et celui de 1724, applicable à la Louisiane, textes parfois appelés aussi « Codes Noirs (de 1723 ou 1724) », et dont plusieurs dispositions ont été étendues aux colonies régies par l'Edit de 1685 par les autorités centrales ou coloniales (gouverneurs, intendants et conseils souverains).

    L'expression « Code noir » n'est pas une appellation officielle, du moins à l'origine, mais éditoriale, ainsi que l'indiquent les éditions privées de l'Édit de 1685 en particulier et plus généralement de certains recueils des textes régissant les colonies 2 (...)

    Ainsi le « Code Noir » acquiert-il un sens beaucoup plus large. Il commence par recouvrir l'ensemble de la législation et de la règlementation relative à l'esclavage, puis finit par englober l'ensemble du droit colonial, Néanmoins, cette extension extrême du sens de l'expression « Code Noir » n'est pas satisfaisante, car les colonies ne se réduisaient pas à l'esclavage. Il semble donc que l'attitude la plus rigoureuse, à la fois historiquement et juridiquement, soit de retenir seulement un sens strict – l'Edit de 1685 – et un sens large - l'ensemble de la législation relative à l'esclavage (et éventuellement au statut des affranchis) – à l'expression « Code Noir » 3 . Par contre, le Code Noir lato sensu doit s'entendre comme englobant également la législation relative à l'esclavage postérieure au rétablissement de 1802, et ce jusqu'à l'Abolition de 1848. L'appellation « Code Noir », stricto et lato sensu, sera d'ailleurs remise en vigueur dès le Consulat. » 4

2- Analyse de l'édit de 1685

    L'édit royal de mars 1685 est promulgué par Louis XIV, deux ans après la mort de Jean-Baptiste Colbert qui en avait fait préparer le texte à la suite d'une longue enquête auprès des autorités des îles. A part les interruptions pendant la période révolutionnaire, ce texte conserva sa fonction légale jusqu'à l'abolition de 1848. Il codifiait les règles qui étaient applicables aux esclaves et précisait les devoirs des maîtres pour limiter leurs excès par crainte d'une révolte servile. Cet édit comprenait 60 articles :

  • Les sept premiers imposaient l'exercice de la religion catholique dans les colonies en chassant « tous les juifs qui y ont établi leur résidence » (article 1er) et en interdisant « tout exercice public d'autre religion que la religion catholique, apostolique et romaine » (art. 3). Ces interdits concernaient les esclaves qui « seront baptisés et instruits dans la religion catholique ... » (art. 2), mais aussi les protestants (art. 5). 1685 fut aussi l'année de la promulgation de l'édit de Fontainebleau qui abrogeait l'édit de Nantes. L'article 14 enjoignait les maîtres de faire enterrer les esclaves baptisés « en terre sainte, dans les cimetières prévus à cet effet ».


  • Les articles 8 à 13 concernaient le mariage des esclaves qui devait se faire avec le consentement du maître (art. 10 et 11) et prévoyaient le sort des enfants : « les enfants qui naîtront des mariages entre esclaves seront esclaves (art. 12) ... et que, si le père est libre et la mère esclave, les enfants soient esclaves pareillement » (art. 13).

 

  • Les articles 15 à 21 énonçaient une série d'interdictions pour les esclaves : «Porter aucunes armes offensives ni de gros bâtons, à peine du fouet ... (art. 15) ... S'attrouper le jour ou la nuit ... à peine de punition corporelle qui ne pourra être moindre que du fouet ... (art. 16) ... Vendre des cannes de sucre ... à peine du fouet ... (art. 18) ... vendre aucune sorte de denrées ... (art. 19) ».


  • Les articles 22 à 27 prévoyaient les obligations des maîtres envers leurs esclaves : pour leur nourriture (art. 22, 23 et 24), leurs vêtements (25 et 26), leur entretien en cas d'infirmité « par vieillesse, maladie ou autrement » (art. 27).

  • Les articles 28 à 31 organisaient l'incapacité juridique de l'esclave à être propriétaire.

  • Les articles 32 à 42 prévoyaient les peines contre les esclaves qui auront frappé leur maître (art. 33), une personne libre (art. 34), volé (art. 35, 36 et 37), pris la fuite (art. 38). L'article 40 prévoyait le dédommagement du maître lorsqu'un de ses esclaves était « puni de mort ». L'article 42 autorisait « les maîtres, lorsqu'ils croiront que leurs esclaves l'auront mérité les faire enchaîner et les faire battre de verges ou cordes, mais leur défendait « de leur donner la torture, ni de leur faire aucune mutilation de membres ».

  • Les articles 44 à 54 réglementaient la vente et l'achat, la saisie, la transmission et l'héritage des esclaves considérés être des biens « meubles » (art.44).

  • Les articles 55 à 59 organisaient les affranchissements et en prévoyaient les conséquences : Les maîtres âgés de plus de vingt ans pouvaient affranchir leurs esclaves (art. 55). Les esclaves affranchis se voyaient octroyer « les mêmes droits, privilèges et immunités dont jouissent les personnes nées libres » (art. 59), mais devaient « porter un singulier respect à leurs anciens maîtres » (art. 58).

    Le « Code Noir » de 1685 est un texte juridique, et non pas philosophique ou encore moins théologique. Il réifie juridiquement l'esclave mais il ne se prononce pas explicitement sur sa non-appartenance à l'espèce humaine.

    Au regard du droit canonique, l'esclave était un homme, car il pouvait être baptisé, il pouvait se marier et être enterré en terre sainte comme un chrétien. Au regard du droit laïc, il était responsable pénalement, et, il pouvait être affranchi. Il y avait donc bien officiellement, par toute une série d'aspects, une reconnaissance de la qualité humaine de l'esclave. Mais, l'esclave était aussi « une chose » : l'article 44 le définissait comme un bien meuble. Il pouvait être vendu, acheté, il avait un prix, il pouvait être transmis par héritage, et il ne pouvait pas avoir de patrimoine, n'avait pas la possibilité de faire un procès, ni même d'être cité dans un procès civil ... mais ce « meuble » pouvait être remuant voire peut se révolter ce qui a entraîné toute une jurisprudence de surveillance et de répression. Il était même prévu que lorsqu'un maître dénonçait un de ses esclaves pour crime ou pour fuites répétées, si celui-ci était condamné à mort, le Trésor public rembourserait au maître la valeur de l'esclave supplicié : un arrêt du conseil du roi du 1er mai 1778 fixait un prix « forfaitaire » de remboursement des esclaves suppliciés ou tués lors de leur fuite : 1300 livres pour un homme, 1200 pour une femme. Ces sommes provenaient de la « caisse des nègres justiciés » alimentée par une taxe qui pesait sur l'achat de tout esclave.

    Si importante que soit l'étude des textes juridiques pour comprendre l'esclavage, il est essentiel de ne pas prendre la lettre du Code noir pour la réalité des conditions d'existence des esclaves. Dans les « habitations », l'autorité du maître était absolue. Jusqu'aux dernières années, les témoignages prouvent que des maîtres, malgré les interdits, torturaient des esclaves. Le pouvoir royal avait la volonté de limiter les excès de violence des propriétaires et d'affirmer son autorité souveraine sur les libres ou les esclaves, mais l'administration coloniale se trouvait confrontée au problème de l'application de sa législation, car elle ne pouvait donner l'impression à la population servile qu'elle pouvait donner tort aux Blancs. De plus, le contrôle par l'administration était limité par le fait que les procureurs étaient généralement des Blancs créoles défendant les intérêts de leur caste.

Eric MESNARD