Vente d'esclaves et retour d'un voyage de traite, Nantes, 1771
- Quelle est la durée de cette expédition ?
- Quelles en sont les étapes ?
- Quel est le bilan humain de cette entreprise ?
- Montrez que la traite est une opération commerciale complexe et à risque.
- Que rapporte le navire à Nantes ?
- Expliquez le système économique de la traite : décrivez les activités induites par la traite avant le voyage, pendant et à l'issue de ce dernier. Pourquoi ce système économique permet-il un enrichissement du port de Nantes et des armateurs ?
Hugues ALBERT
Youenn COCHENEC
Histoire 4e, 1e professionnelle Histoire
Vente d'esclaves et retour d'un voyage de traite, Nantes, 1771
Le rapport de mer du navire Le Maréchal de Luxembourg nous livre des informations sur la vente des esclaves et le voyage du retour vers Nantes. Un bilan global de la campagne de traite est alors possible.
Le rapport de mer du capitaine J. Tanquerel, capitaine du navire Le Maréchal du Luxembourg, permet de dresser un bilan global du commerce triangulaire nantais. Déposé auprès de l'amirauté de Nantes en 1769 ce rapport concerne un navire de 250 tonneaux, soit un navire de belle taille pour une campagne de traite d'importance. Le navire est armé par les armateurs Deseigne, Drouin et Dulac. Bien que courante, cette association de trois familles d'armateurs s'explique ici par l'importance de l'investissement : armé de 12 canons, le navire compte 60 hommes d'équipage et va effectuer la traversée entre l'Afrique et les Caraïbes avec à son bord 691 captifs.
L'objectif de ce rapport de mer, obligatoire pour les navires au long cours, est de dresser le bilan de l'expédition. De ce document long et complexe, nous ne gardons ici que des extraits transcrits (l'original est consultable aux Archives Départementales de Loire-Atlantique) permettant de comprendre à la fois l'armement du navire et sa cargaison, le voyage, la traite, la vente, l'achat des marchandise dans les îles et le bilan humain du voyage. Ce document est destiné aux autorités portuaires qui enregistrent pour l'administration royale les marchandises débarquées, les hommes débarqués...tant pour des raisons de sécurité que des raisons fiscales. Cependant, fait sous serment devant un avocat, ce rapport sert aussi aux armateurs pour commencer la dernière étape de cette longue opération commerciale, à savoir la vente des produits coloniaux et la répartition très complexe des bénéfices du dit voyage. De même, le retour du navire entraîne le règlement des salaires des marins qui n'ont au départ touché qu'une avance sur solde.
Les informations que l'on peut extraire d'un tel document sont très nombreuses. Retenons ici l'essentiel dans un souci de compréhension global d'une expédition négrière. Le Maréchal de Luxembourg quitte Paimbœuf le 1er février 1768. Il atteint la Côte d'Or fin mars et sa campagne de traite s'étale sur plusieurs mois. Ce n'est que le 17 novembre 1768 que le bateau quitte les côtes africaines pour faire relâche durant un mois à l'île du Prince, étape classique suivie par nombre de navires négriers nantais. A son arrivée à Saint-Domingue le 20 février 1769, le navire a perdu cinquante captifs.
Le retour vers la France s'effectue le 15 mai 1769. Entre l'arrivée et le départ de Saint-Domingue, le capitaine a procédé à la vente des captifs et a chargé son navire de sucre, de café, de coton, d'indigo. Le voyage aura duré plus de 16 mois éclairant ainsi les aléas de la traite. La liste des marins morts durant le voyage éclaire plusieurs aspects : la mention de leur rôle sur le navire illustre la diversité du métier de marin. Charpentiers, armurier, pilote de chaloupe...le navire négrier est un navire mixte qui doit à la fois transporter des hommes nombreux et des marchandises. De plus, la concurrence, les conflits en Europe nécessitent toujours une solide défense. Il faut donc des hommes capables de manœuvrer dans des circonstances complexes (l'accès aux plages, ou rades d'Afrique est rendu difficile par le phénomène de barre) mais aussi des hommes adaptant le bateau et son architecture aux étapes du voyage. L'entrepont va ainsi évoluer servant de cale pour les captifs avant d'être un entrepôt pour les produits coloniaux.
Ces rapports de mer constituent donc une source de renseignements de premier ordre pour comprendre la traite et ses modalités.
Source : Rapport de mer de J. Tanquerel, capitaine au long cours, 1771.
Hugues ALBERT
Youenn COCHENEC
Vente d'esclaves et retour d'un voyage de traite, Nantes, 1771
Amirauté de Nantes, rapports du 15 novembre 1766 au 31 janvier, 1771
Du 21 juin 1769 devant M. Roger, présent, Monsieur l'avocat du Roy,
A comparu le sieur Jullien Edouard Tanquerel, Capitaine commandant le navire « le Maréchal de Luxembourg » de nantes du port de 250 tonneaux armé de 12 canons et équipé de 60 hommes d'équipage tout compris, par nobles gens Deseigne, Drouin et Dulac négociants de Nantes [...]
il nous a déclaré avoir party du bas de cette rivière le 1er février 1768 pour aller à la Côte d'or chargé de marchandises propres pour la traite des noirs où il serait arrivé le 28 mars suivant où il aurait traitté la quantité de 691 noirs de tous sexes et de tous âges [...]
que sa traitte finie il en serait party 30 octobre suivant pour aller à Saint Marc et côte de Saint Domingue, que le 17 novembre il aurait relaché à l'isle du Prince pour faire rafraîchir ses Noirs et son équipage et y faire des vivres ; qu'il enserait party le 19 décembre suivant pour suivre sa destination et serait arrivé au dit lieu de Saint Marc le 20 février 1769 auquel endroit il aurait fait la vente de ses noirs à l'exception de 50 noirs aussy de tous sexes et âges de la cargaison et un fret qui sont morts pendant la traite, traversée, relâche et vente. [...]
que la vente finie il aurait chargé au retour la quantité de 270 futailles de sucre brut, 2/4 ditte terré, 67 futailles et 125 sacs de café, 132 ballots de cotton, 12 futailles indigo et autres marchandises permises ; que son chargement fini il serait parti le 15 mai dernier pour venir à Nantes lieu de sa destination, que pendant sa traversée il a essuyé beaucoup de mauvais temps et reçu plusieurs coups de vent de mer qui couvraient tout le pont de son bâtiment eu son chargement mouillé, endommagée et avariée, [...] et serait arrivé le 19 de ce mois à Paimboeuf [...]
avec tous les gens de son équipage à l'exception des nommés Charles Raymond de l'île Dieu, matelot mort à Juda le 28 juillet 1768, le sieur Guillaume Drouin de l'île Bouchard sur Loire enseigne, Michel Pointier de Nantes, novice, Etienne Delaye de nantes, armurier, Pierre Orval de Nantes, novice charpentier, Pierre Jas de Ligné, Jacques Brelet de Vallet, novice tonnelier, les six derniers noyés le 2 septembre 1768 sur la barre de Judas dans le canot qui a chavir ; Pierre Riau des Moustier novice, mort le 9 novembre 1768 à la mer ; Barthélemy Pallet de Rennes, piloton mort à l'île du Prince le 18 novembre dudit an, Claude Miquel de Nantes, premier tonnelier mort à Saint Marc le 31 dudit Jean Chemineau de Saint Malo patron de la chaloupe mort à Saint Marc le 2 avril dit an, et Louis Guyard de Saint Malo, matelot mort à la mer le 22 mai dernier ; des hardes et nippes desquels décédés il a fait inventaire et vente qu'il a dépose en ce greffe
Signé J. Tanquerel
Source : Rapport de mer de J. Tanquerel, capitaine au long cours, 1771.
Hugues ALBERT
Youenn COCHENEC