L'armement d'un navire de traite, La Jeannette, 1743

 


  • Qu'est-ce qu'un rôle d'armement ?

  • Quelles informations procure ce document sur le navire (destination, équipage, chargement...) ?

  • D'où est originaire le chirurgien ? Quelle information cela apporte-t-il sur l'attractivité économique du port de Nantes ?

  • Quels sont les corps de métier présents sur un navire de traite ? Selon vous, quel rôle joue chacun d'entre eux durant le voyage ?

  • Quelles informations l'inventaire après décès nous livre-t-il sur le voyage et ses aléas ?

  • Quels indices montrent dans les deux documents la hiérarchie sociale sur le navire ?

Hugues ALBERT
Youenn COCHENEC

 


4e, 1e professionnelle                                                                                                         Histoire

 

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L'armement d'un navire de traite (La Jeannette), 1743

 

Document 1 (Rôle d'armement)

Document 1

Armement

    Armement

    Rolle de l'Équipage du navire La Jeannette de Nantes du port

    de cinquante Tonneaux, armé de quatre Canon, percé pour quatre

    tirant d'eau chargé onze pieds, & non chargé Sept pieds, deux ponts sans Gaillard appartenant au Sr Dareche, armé à Nantes

    par ledit Sieur sous le commandement du S. Julien Hiron

    pour aller a la cote de guinée et les Isles francoises de lamerique par permission de la Com. des Indes occ

    avec deux mois d'avance, qui doivent courir du jour de la sortie dudit Batimen de cette Riviere


Noms, Surnoms, Demeures& qualitez.

Age,

Taille,

& Poil.


Qualités

& Solde

au Service

Du Roi

Classe

&

Folio

Avances pour

mois

 

Offiers majors

Capne

Le S. Julien hiron de Frossay f Julien

46 m n

 46 m n  

Fol 26

Capn
   300
 

Aydes Pilote

Adam Joulain de nantes f Gabriel

 29 m c    

115

2

 60
 

Chirurgien

Jean Charles Sylvestre de pertüi en Provence

f Jean Baptiste

28 h c      100

Charpier

Jacques Desrües de nantes f Jacques

27p c  

55

2

100

Mousse

Pierre Mornet de Nantes f Antoine

14 p c     12

 


RECAPITULATION DU PRESENT ROLLE.

6 Officiers : 780 (Livres)

4 Officiers Mariniers : 326

0 Officiers non Mariniers :

10 Matelots :

2 Novices : 668

0 Volontaires :

3 Mousses : 38

25 PersonnesTotal : 1812 pour deux mois d'avance.

Source : extrait du rôle d'armement du navire La Jeannette, 1743

Document 2 (Inventaire)


 

Invantaire et vente, des hardes du nommée Pierre Sauret de

Frossé mathelot novisse sur le Navire La Jeanette de Nantes capitaine

Monsieur hÿron Décédé le premier Septembre mil Sept cent quarante

trois.

Scavoir

Un gillest une culotte Detauffe adiugé à joseph pinton mathelot 2 L(ivres) 2 s(ols)
Deux Culottes de toille un gillest idem adiugé à joseph pinton, mt[…] 5 9
Deux chemises une vareuse de toille adiugé à Philbert Michau mt 5 5
[…] Deux Paire Soulier usé adiugé à Jean Jacques Langois de Saint martin canonier 5 10
Un hamacq De toille adiugé a André De Lille mathelot […] 2 10



Nous officiers majors et mariniers Du navire la jeanette De

Nantes certiffions Le present Inventaire montant a La Somme De

34 Livre 11 Sols [...]

Signe ce Deuxieme 7bre 1743.

(signatures)

 


Source : extrait de l'inventaire après décès de Pierre Sauret, 1743.

 

 

 

 

 

L'armement d'un navire de traite, La Jeannette, 1743    




    L'étude du navire La Jeannette, à l'aide de l'extrait du rôle d'armement et de l'inventaire après décès de l'un des marins, permet à l'élève de découvrir les réalités à la fois technique, économique et sociale d'une expédition navire de traite.

    Cet extrait issu du fond des archives de la chambre de commerce de Nantes (affaires maritimes) constitue un document important pour la compréhension de la traite négrière dans ses dimensions sociales. Le rôle d'armement permet de connaître le bateau, ses particularités, sa destination. Surtout, il renseigne sur les marins embarqués (rôle d'équipage), leurs fonctions à bord, leur âge et la solde perçue avant le départ.

    Ainsi, La Jeannette est un bateau de 50 tonneaux, soit un navire de taille moyenne, de 25 hommes d'équipage. Commandé par Julien Hiron, ce navire est armé à Nantes et appartient à un grand armateur nantais, M. Darèche. En tant que navire armé pour la traite, le bateau possède les caractéristiques classiques du navire négrier. Un tirant d'eau moyen qui lui assure une charge relativement importante et une vitesse correcte. Ce navire mixte a les capacités de charger un nombre suffisant d'esclaves dans l'entrepont ainsi que l'eau nécessaire au voyage (une barrique par personne environ) tout en réduisant la durée de la traversée de l'Atlantique. Il permet un accès au grand large tout en autorisant un cabotage en Afrique. Le journal d'Adam Joulin montre que le quotidien du navire en Afrique est bercé par la mesure des fonds à l'approche des côtes.

    L'équipage se compose de 10 officiers, 10 matelots, 2 novices et 3 mousses comme le renseigne la récapitulation du rôle d'armement. Les membres d'équipage touchent deux mois d'avance de solde pour une somme totale de 1812 livres. A titre d'exemple, le capitaine touche 300 livres de solde, le chirurgien tout comme le charpentier 100 livres. A l'opposé, un mousse de 12 ans ne perçoit qu'une avance de 12 livres. De manière générale, les soldes sont déterminées par l'importance des fonctions à bord, mais également par l'âge et l'expérience. Au bout du compte, les 6 officiers touchent 780 livres pour deux mois, les 4 officiers mariniers 326 livres, les 12 matelots 668 livres et les 3 mousses 38 livres. Les domiciliations font apparaître qu'une grande majorité des marins sont originaires de Nantes et de sa région proche (Pays de Retz). Quelques marins viennent de communes rurales plus éloignées de la mer (Monnières, Saint-Herblon). Quelques autres enfin attestent d'une mobilité géographique plus importante (Crozon, Brest, Loudéac, Londres). Cette réalité éclaire de façon singulière le rôle joué par la ville portuaire atlantique. Véritable interface, Nantes est une porte ouverte sur le monde qui polarise un vaste territoire. Son hinterland lui fournit donc une main d'œuvre indispensable et la ville elle-même bénéficie de cette attractivité au rythme des campagnes de traite qui font évoluer de façon sensible le nombre des marins présents. Enfin, la ville est un pont entre les espaces atlantiques tant par les produits déchargés (venus de France, d'Europe, des Caraïbes, d'Afrique...) que par les hommes qui s'y côtoient. Les goûts nouveaux, les produits nouveaux se mêlent aux hommes d'origines diverses : Africains (700 environ à Nantes au XVIIIè siècle), Breton, Hollandais...Nantes symbolise le monde d'alors et ses horizons.

    Pour finir, ce riche document contient les invantaires et vente des hardes des membres de l'équipage décédés durant la traversée. On peut y découvrir la liste des biens vendus et la somme obtenue ainsi que le nom de son acquéreur. Ainsi, le mousse Jacques Voye, noyé, possède des hardes vendues pour la somme de 36 livres. Le second capitaine du navire, mort lors de la révolte en rade d'Épée, laisse des effets d'une valeur de 299 livres et une longue liste de biens invendus. Ces inventaires sont établis le jour même de la mort, et la vente, contresignée par les officiers, a lieu sur le bateau. Ainsi, Simonin, premier lieutenant acquiert pour le prix de 47 livres, un mat h ela s t , une pailla sse, un oreillé , une couverture, de laine verte. Il achète de même une épée d'argent, une vieille malle... Perruques, chemise, compas, culottes, la liste peut être longue. L'inégalité des statuts est ici remarquable : les matelots possèdent essentiellement des vêtements (culottes, chemises) alors que les inventaires des officiers offrent une liste beaucoup plus riche. Ces inventaires précisent aussi les circonstances de la mort du marin. L'un, novice sur le navire, meurt noyé le 1er septembre 1743 ; le second charpentier décède le 5 du même mois suite à des fièvres continues à l'âge de 21 ans tout comme l'un des matelots le 28 octobre. Le second capitaine perd la vie lors de la révolte des captifs en rade d'Épée le 5 octobre 1743. En février 1744, le second tonnelier meurt du scorbut. Enfin, seule la mort du mousse en date du 22 octobre 1743 n'est pas renseignée.

    Le rôle d'armement constitue donc une source originale pour l'étude de la traite atlantique. La diversité des informations permet d'appréhender les acteurs de la traite. Pour les armateurs, la traite est le plus souvent un montage financier et commercial dont on ne perçoit guère les aspects humains qui se déroulent fort loin des ports atlantiques. Les marins sont au contraire au cœur de l'action, au contact des captifs. Leur fonction dans le navire facilite la compréhension des enjeux concrets de ce commerce : organisation et transformation du navire en fonction des étapes (rôle du charpentier), le maintien de l'ordre, de la santé à bord (rôle du chirurgien) ...


Hugues ALBERT
Youenn COCHENEC